Qu’est-ce que le Grand Siècle ?

Le Grand Siècle désigne couramment le XVIIe siècle français, depuis le règne d’Henri IV, pacificateur du chaos des guerres de Religion, jusqu’à la régence de Philippe d’Orléans, soit de 1589 à 1722. C’est cette chronologie qu’adopte le monumental Dictionnaire du Grand Siècle dirigé par François Bluche (1989).

L’expression « Grand Siècle » est aujourd’hui largement partagée par la littérature érudite comme par toutes sortes de productions, du cinéma à la bande dessinée. Historiens français et étrangers (notamment anglo-saxons) l’emploient fréquemment, sans lui donner pour autant une connotation positive.

Grandeurs

Cette notion de Grand Siècle s’est affirmée au XVIIe siècle lui-même, avec la publication du Siècle de Louis-le-Grand de Charles Perrault (1687), et s’est développée au XVIIIe siècle, avec Voltaire et son Siècle de Louis XIV (1751). Ce dernier entendait bâtir « un monument élevé à l’honneur de la France », ainsi qu’un monument à la gloire du roi et d’un siècle qui, dans toute l’histoire humaine, « approche le plus de la perfection ».

Charles Perrault, Le siècle de Louis le Grand, Paris, 1687 © Gallica Bnf

Cette notion de grandeur est devenue suspecte à nos esprits modernes, mieux habitués à la relativité et au scepticisme. Cependant, elle peut être conservée pour deux raisons. La première est factuelle : la France, qui est alors le pays le plus peuplé d’Europe, en dehors de la Russie, s’agrandit nettement et voit ses frontières devenir proches de celles de la France actuelle.

La seconde raison est dans l’ordre de la volonté et de la projection : la France du XVIIe siècle recherche la grandeur, pense sa primauté dans les arts et dans les sciences, enfin travaille à l’affermissement de la langue, contribuant à la conquête de sa légitimité culturelle. La fondation de l’Académie française en 1634 vise à porter la langue à un niveau de perfectionnement analogue au grec et au latin. La monarchie française entend en effet imiter et supplanter Rome et la cour pontificale, centre culturel et spirituel du monde occidental.

Un dernier aspect de cette grandeur mérite d’être soulignée : sa permanence aussi bien historiographique que politique. L’imaginaire du Grand Siècle a ainsi marqué les siècles et les régimes suivants. Si la Révolution française abat les signes visibles de l’absolutisme, le XIXe siècle reste fasciné par le Grand Siècle. Son legs se mesure également dans l’association récurrente du Général de Gaulle avec le XVIIe siècle.
Le Grand Siècle est en effet omniprésent dans le discours gaullien et dans sa caricature, et plus généralement dans les gènes de la Ve République, régime qui s’approche le plus de l’ancienne monarchie en faisant d’un seul homme, le Président de la République, l’incarnation de tout le système politique.

Critiques

Ce monument historiographique et bibliographique du Grand Siècle est apparu, dès la fin du XIXe siècle, comme quelque peu pétrifié. Il n’a évidemment pas échappé aux critiques : contre sa moralité dans L’Envers du Grand Siècle de Félix Gaiffe (1924) et dans Le Libertinage érudit dans la première moitié du XVIIe siècle (1943), où René Pintard décrit une face cachée du Grand Siècle ; contre l’absolutisme et ses excès ; contre la politique religieuse de Louis XIV, et surtout la révocation de l’Édit de Nantes de 1685…

À partir des années 1930 jusqu’aux années 1980, l’« École des Annales » met de côté le champ politique et la narration pour privilégier une réflexion économico-sociale. Le procès en mystification contre un Grand Siècle considéré comme prisonnier d’une aura fallacieuse s’est parallèlement développé : « On a voulu trop longtemps nous faire croire que le XVIIe siècle était le siècle de la certitude ; c’est en fait le siècle de la crise » (Jacques Prévot). Ce « faux Grand Siècle » conduirait à occulter les calamités qui se sont alors succédé : famines, épidémies, guerres, intolérance…
Les questionnement actuels, issus des gender studies, et surtout des colonial studies, entraînent depuis une vingtaine d’années des débats passionnés.

Le renouvellement de la critique et de la recherche a cependant suscité de nouvelles approches de l’histoire politique, de l’histoire financière, de l’État, comme des fortunes ministérielles, des réseaux, des patronages et des clientèles. Une histoire des mœurs, des rituels et de la sociabilité a aussi été repensée.

Des avancées littéraires et scientifiques ont fait évoluer les stéréotypes et les idées arrêtées sur le XVIIe siècle. Dans Sauver le Grand Siècle ?, Christian Jouhaud, a pointé en 2007 la limite de cette entreprise de déconstruction du discours historiographique, quand il faudrait réfléchir à une « grandeur fêlée » du Grand Siècle.