Jean Chalette (1581-1643)Portrait de François de Sabatéry1627Huile sur toileH. 111 ; L. 98Inv. 2023.15.1
Signé de la main de Jean Chalette (1581-1643), le Portrait de François de Sabatéry, acquis chez Millon en 2023 avec l’exercice du droit de préemption, témoigne de la vivacité des foyers artistiques provinciaux au Grand Siècle. Restauré en 2025, il est présenté au Petit Château de Sceaux depuis l’automne.
Natif de Troyes, Jean Chalette se forme en Italie, notamment à Mantoue auprès de Frans Pourbus le Jeune (1569-1622). Après un passage à Aix-en-Provence, il s’installe à Toulouse en 1611. L’année suivante, il devient peintre officiel de la maison de Toulouse, fonction qu’il occupe jusqu’à sa mort.
Outre des commandes religieuses, Chalette exécute des scènes historiques, comme Le Mariage de Louis XIII, roi de France et de Navarre, avec Anne d’Autriche, peint en 1615 (Toulouse, musée des Augustins), qui témoigne de la volonté des Toulousains d’afficher leur fidélité à la monarchie. Il déploie également son talent lors de l’entrée triomphale de Louis XIII à Toulouse, le 21 novembre 1621, après le siège de Montauban. À cette occasion, Chalette conçoit un parcours entre la place Arnaud-Bernard et le palais archiépiscopal, ponctué de sept arcs de triomphe et de nombreux tableaux allégoriques.
La carrière de Chalette repose surtout sur son important travail de portraitiste pour les capitouls. Ces magistrats, élus chaque année parmi les notables urbains (écuyers, avocats, procureurs, marchands), forment le conseil municipal qui administre la ville du XIIᵉ siècle jusqu’en 1789. À chaque mandat, les capitouls commandent un portrait de groupe. Chalette en exécute systématiquement deux versions : une en grand format et une en miniature sur parchemin, insérée dans le livre des Annales. Pour ces dernières, il fait preuve d’innovation en utilisant l’huile à la place de l’aquarelle. En tout, l’artiste peint les effigies de 264 capitouls, soit 792 portraits. Malgré cette production abondante, peu d’œuvres subsistent. Sur trente portraits collectifs, seul le Portrait des capitouls nommés par arrêt du Parlement, le 28 novembre 1622 est conservé (Toulouse, musée des Augustins). Les autres n’ont pas survécu au passage du temps ou ont été détruits durant la Révolution. Chalette forme plusieurs artistes, dont Hilaire Pader (1607-1677), Antoine Troy (1608-1684) et Antoine Durand (1611-1680), qui prolongent son influence au cours du siècle.
Le Portrait de François de Sabatéry compte parmi les rares portraits individuels de Chalette parvenus jusqu’à nous. À partir de 1612, les capitouls commandent au peintre des effigies individuelles. Le modèle ici représenté est un avocat, François de Sabatéry, seigneur de Roquerlan et de Crépiac, élu capitoul à deux reprises, en 1627 et 1642.
Ce portrait illustre les caractéristiques stylistiques propres à Chalette. Il témoigne de l’influence manifeste de la manière flamande adoptée par le peintre auprès de Frans Pourbus le Jeune. La frontalité et la rigidité de la pose sont contrebalancées par le rendu minutieux des matières, des vêtements et des accessoires. Contrairement au Portrait de Pierre de Cos, capitoul de saint-Pierre en 1617-1618, peint en 1618 (Toulouse, musée des Augustins), l’artiste amorce un plus grand réalisme dans les traits du modèle et un éclairage discret, centré sur le visage et les mains. Ces éléments témoignent d’un caravagisme adouci, acquis lors du séjour de Chalette en Italie.
La sobriété de ce portrait contraste avec l’exubérance du Portrait de Jean de Caulet en Apollon couronné, peint en 1635 (Toulouse, musée des Augustins), où le modèle est représenté devant un fond doré, entouré des Muses, une couronne de fleurs à la main, symbole de l’inspiration.
Le Portrait de François de Sabatéry est une affirmation ostentatoire du pouvoir municipal, exprimée par les accessoires entourant le modèle. La robe capitulaire rouge et noire, emblème de la magistrature municipale, n’est pas portée par le modèle. Elle est négligemment posée sur une table recouverte d’un riche tapis. Le livre à fermoirs dorés et les documents manuscrits que le modèle tient en main évoquent le pouvoir administratif associé à cette charge.
Le caractère ostentatoire du portrait de François de Sabatéry témoigne de la volonté des élites toulousaines d’affirmer leur rang social et leur pouvoir local.
Au fil des siècles, le capitoulat s’est affirmé comme une entité politique qui fait obstacle à l’uniformisation de l’administration, de la fiscalité et de la justice du royaume. Depuis l’installation du Parlement en 1443, représentant local du pouvoir royal, sa légitimité est régulièrement remise en cause. Des rivalités durables opposent les deux institutions. Face à ces résistances locales, Richelieu, sous le règne de Louis XIII, cherche à renforcer l’emprise de la monarchie : il instaure des intendants et limite les pouvoirs des autorités urbaines. Cependant, le roi doit composer avec les réalités locales, et Toulouse sert alors de bastion catholique pour les armées royales face aux protestants qui tiennent Montauban et La Rochelle lors des guerres de Rohan (1620–1629), reprise partielle des guerres de Religion.
Si en apparence les libertés électorales à Toulouse sont conservées jusqu’à la Révolution, le pouvoir royal tend à prendre un contrôle croissant sur le choix des capitouls. Lors de la réforme de 1687, Louis XIV s’attribue directement leur nomination à partir d’une liste préparée par les sortants. Le capitoulat ne perd cependant pas son prestige, l’obtention de la charge de capitoul permettant l’anoblissement. Toulouse échappe à l’édit de 1667, qui impose une taxe aux familles souhaitant conserver leur noblesse acquise par les charges municipales, permettant ainsi aux descendants des capitouls, tout au long du XVIIIe siècle, d’effacer leurs origines roturières et de s’allier par mariage à la noblesse d’épée qui siège au Parlement.
Grégory BARBUSSE, « Réseaux, pouvoirs et puissance des parentèles dans les familles de capitouls de Toulouse au XVIIIe siècle », dans Michel BERTRAND, Pouvoirs des familles, familles de pouvoir, Presses universitaires du Midi, 2005, p. 209-225.
Léon CLOS, Étude historique sur le capitoulat toulousain, Toulouse, Édouard Privat, 1887, p. 61.
Laurent COSTE, « La noblesse de cloche en France sous l’Ancien Régime (XVIe -XVIIIe siècles) », dans Michel FIGEAC, Jaroslav DUMANOWSKI, Noblesse française et noblesse polonaise, Pessac, Maison des Sciences de l’Homme d’Aquitaine, 2006, p. 185-197.
Marie-Louis DESAZARS DE MONTGAILHARD, « « L’art à Toulouse à la veille de la Révolution de 1789 » dans Les artistes toulousains et l’art à Toulouse au XIX e siècle, Toulouse, E.-H. Guitard, 1924, p. 121-122, p. 131.
Claire DOLAN, « Une culture politique en mutation : la nomination des capitouls à Toulouse à la fin du XVIIe et au début du XVIIIe siècle », Annales du Midi, 2017, tome 129, n° 297, p. 12.
Didier FOUCAULT, Toulouse et les Toulousains pendant le siège de Montauban. 400e anniversaire du siège de Montauban (1621-1622), Colloque inter-académique de Montauban, 21-22 septembre 2021, Académie des sciences, des lettres et des arts de Montauban, 2022, p. 3, p. 6-9.
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