Dino Martens (1894-1970)

pour Vetri Decorativi di Murano Rag. Aureliano Toso

Deux Poissons

1940
Verre a mezza filigrana
35 x 32 x 12 cm
Inv. 2020.1.1151

 

La donation de Pierre Rosenberg consentie au Département des Hauts-de-Seine en 2020 comporte un ensemble exceptionnel de 680 animaux en verre de Murano du XXe siècle. Ces Deux poissons dessinés par Dino Martens, directeur artistique de la Vetri Decorativi di Murano Rag. Aureliano Toso, témoignent du travail mené par les verreries entre les années 1920 et 1950 pour réinventer et moderniser les techniques traditionnelles du verre.

Notice interactive

Le verre filigrané, fleuron de la tradition verrière à Murano

Au cours du XVIe siècle, Murano s’affirme comme le centre verrier le plus novateur d’Europe. On attribue à Angelo Barovier, technicien de génie, l’invention de nouvelles qualités de verre qui feront la gloire de l’île, comme le verre cristallo (verre transparent d’une grande pureté) et le verre lattimo (verre blanc opaque). Les verriers mettent aussi au point des techniques de mise en œuvre de ces nouveaux verres, parmi lesquelles le verre filigrané, vetro a filigrana en italien, obtenu en mêlant au verre cristallo de fines baguettes de verre lattimo.

Le verre filigrané se décline en différentes techniques qui permettent de varier les décors, a fili, avec des baguettes de verre, qu’on appelle cannes, disposées parallèlement des unes aux autres, a retorti, lorsque les cannes sont tordues en spirales avant d’être fondues dans le verre cristallo et a reticello, lorsqu’elles forment des résilles de cannes entrecroisées.

Le succès international remporté par ces créations auprès des cours princières encourage la diffusion de ces techniques et l’apparition de nombreux centre verrier « à la façon de Venise ». Tombées en désuétude à la fin du XVIIIe siècle, comme beaucoup d’éléments de la tradition vénitienne, cette technique est largement remise au goût du jour à partir du milieu du XIXe siècle, avec l’apparition du zanfirico, nouveau terme utilisé pour désigner le verre a retorti, et surtout au XXe siècle.

Dino Martens, l’œil du peintre

Fils de Lorenzo Toso, partenaire de la Fratelli Toso, Aureliano Toso appartient à l’une des plus anciennes familles de verriers de Murano qui, comme les Barovier, travaille le verre depuis la Renaissance. Après une formation de comptable, il rejoint l’entreprise familiale en 1920, puis rachète l’ancienne Vetreria Artistica Romano Mazzega pour fonder sa propre maison. Ambitieux, il exporte sa production, et son activité s’épanouit progressivement. Afin d’augmenter ses chances de participer à la Biennale de Venise de 1940, il fait appel à son ami artiste Dino Martens pour donner à sa production une tonalité novatrice.

Corrado Martens, dit Dino, étudie la peinture à l’Academia di Belle Arti entre 1908 et 1912. Dès 1911, il expose ses peintures dans différentes institutions vénitiennes. Au milieu des années 1920, il donne des dessins à plusieurs verreries dont la Fratelli Toso et la S.A.L.I.R. En 1926, il épouse Amelia Toso, la nièce d’Aureliano Toso. Entre 1924 et 1930, il expose à la Biennale de Venise des peintures dans le style Novecento et des mosaïques, puis travaille un temps pour Salviati & C., s’intéressant notamment au verre filigrané. Pour Aureliano Toso, il poursuit ses recherches sur les possibilités décoratives de ce verre très graphique et propose plusieurs modèles sélectionnés pour la Biennale.  

Le groupe de Deux poissons de la donation Rosenberg est réalisé en verre a mezza filigrana orange et montre l’attachement de Martens à cette technique, allié à une certaine audace dans le choix de la couleur, le verre filigrané étant traditionnellement réalisé avec des fils de verre lattimo. Par ailleurs, Martens joue avec les différentes techniques de verre filigrané en orientant différemment le mezzafiligrana sur les deux faces de la pièce, ce qui, par le jeu de la transparence, donne l’impression d’un verre a reticello dans lequel les fils de lattimo se croisent.

Directeur artistique de la Vetri Decorativi di Murano Rag. Aureliano Toso durant de nombreuses années, Dino Martens contribue à faire de l’entreprise une des verreries de premier plan dans les années 1950, considérée parmi les plus novatrices, se distinguant par une utilisation non conventionnelle des techniques de verre vénitiennes qu’il fait adapter à sa conception picturale du verre coloré, afin d’obtenir des effets multicolores très originaux, associés à des formes audacieuses et difficiles à exécuter.

Parallèlement à ses recherches d’ordre pictural, Martens continue à réfléchir à la technique du filigrane, spécialité de la verrerie d’Aureliano Toso, qui le fascine depuis ses débuts et qu’il réinvente et décline à plusieurs reprises.

Au début des années 1950, il crée à partir de la technique du mezza filigrana la série qu’il nomme « a fascia bianca nera », composée de cannes de verre lattimo, noir et aventurine savamment agencées et soufflées en spirale. Cette série connaît également un immense succès commercial dans la première moitié de la décennie, tout comme sa variante, baptisée « a trina », pour laquelle les pièces formées des mêmes cannes sont soufflées dans un moule à nervures qui crée des ondulations en surface. Cette série a également été déclinée dans une riche polychromie, comme le montre le Perroquet de la collection Pierre Rosenberg.

 

Au milieu des années 1950, Martens évolue vers un travail des cannes plus fin et léger. Il conçoit une série de Poissons, travaillés a reticello, dans laquelle le subtil réseau de fils lattimo entrecroisés, recouvert sur le dessus de l’animal de deux couches de verre bleu et améthyste selon la technique incalmo, évoque le brillant nuancé des écailles.

 

À la fin de la décennie, l’intérêt de Martens pour le verre marque le pas, tandis que la verrerie, concentrée sur le succès commercial de ses productions moulées, crée moins de nouveaux modèles.