Atelier de Jacques II LAUDIN (1663-1729)
Saint Vincent de Paul
Début du XVIIIe siècle
Email peint sur cuivre
H. 21,5 ; L. 16,5 cm
Inv. 2022.7.1
Acquise en vente publique en 2022, cette plaque en émail peint permet de présenter l’une des figures religieuses majeures du Grand Siècle, ainsi que la continuité du travail de l’émail peint de Limoges après son apogée durant la Renaissance.
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Notice détaillée
Considéré comme le saint français majeur du XVIIe siècle, Vincent de Paul (1581-1660), alors aussi appelé « Monsieur Vincent », est originaire des Landes. Après avoir été ordonné prêtre, il se rend à Paris où il rencontre le cardinal Pierre de Bérulle (1575-1629), autre personnage religieux important du Grand Siècle, fondateur de l’Oratoire de France.
En 1605, il est capturé en mer par des pirates barbaresques[1], entre Marseille et Narbonne, et devient l’un des esclaves chrétiens de Tunis, jusqu’à son évasion en 1607. Cette malheureuse expérience le rend sensible au traitement des prisonniers en France ; il obtient alors qu’ils soient traités plus dignement lorsqu’il devient aumônier général des galères du roi en 1619. Plus tard, il parvient même à faire libérer des chrétiens captifs de l’Empire ottoman.
En 1610, il devient l’aumônier[2] de la reine de France Marguerite de Valois (1553-1615), la fameuse « reine Margot », fille du roi Henri II et épouse de Henri IV, puis le précepteur des enfants de la famille de Gondi. En 1643, Louis XIII (1601-1643) sur son lit de mort demande à être assisté par « monsieur Vincent » et meurt dans ses bras.
Saint Vincent de Paul s’est illustré dans la prise en charge des pauvres, des malades et des orphelins, en fondant plusieurs œuvres de charité destinées à leur venir en aide. Etant témoin de la détresse religieuse mais aussi sociale du peuple dans les provinces, il fonde à Châtillon-les-Dombes (Aisne), en 1617, les "Confréries de la Charité" pour leur prêter secours. Financées par des femmes de la bourgeoisie locale, elles sont destinées à se multiplier dans toutes les provinces. En 1619, il est nommé aumônier général des Galères et aide à améliorer les conditions de vie des condamnés.
L’inscription dans le cartouche situé en partie inférieure de notre plaque d’émail témoigne des actions charitables de saint Vincent de Paul : "VINCENT DE PAVL PTRE FONDATEVR ET Pmier SVPERIEVR Gral DE La Congregation de la Msion" [3]. Il est ici fait référence à la Congrégation de la Mission, plus communément appelée "Lazaristes" [4], fondée par le saint en 1625. Toujours existante, elle avait à l’origine pour vocation l’évangélisation des campagnes et s’était déjà, dès le XVIIe siècle, répandue en Irlande, en Pologne et jusqu’à Madagascar.
En 1633, il fonde la « Compagnie des Filles de la Charité » avec Louise de Marillac (1591-1660), destinée à s’occuper des pauvres malades. Elle se distingue alors des autres congrégations car les Filles de la Charité se rendent jusque dans les maisons des malades et ne restent ainsi pas enfermées dans leur couvent. Au fil du temps, elles prennent soin de tous ceux dans le besoin : vieillards, soldats blessés, jeunes filles démunies,… « J’ai peine de votre peine » avait-il coutume de dire.
En 1639, saint Vincent de Paul crée "l’Œuvre des Enfants Trouvés" pour accueillir les enfants abandonnés ou déshérités, ancêtre de l’Assistance publique.
Canonisé en 1737 par le pape Clément XII, Monsieur Vincent est proclamé "Patron Universel des œuvres de Charité" en 1885.
[1] Terme commun entre le XVe et le XIXe siècle pour évoquer les habitants de l’Afrique du Nord.
[2] "Officier ecclésiastique dans la Maison du Roi, d’un prince, d’un grand seigneur, dont les fonctions consistent dans la prière, dans la distribution des aumônes, et autres choses qui regardent la religion." (Dictionnaire de l’Académie française, 1ère édition, 1694).
[3] "Vincent de Paul Prêtre fondateur et Premier Supérieur général de la Congrégation de la Mission".
[4] Du nom du clos de Saint-Lazare (Paris, Xe), où étaient implantée la Congrégation à ses débuts.
L’émail est un mélange de différents minéraux. Une fois chauffés ensemble, on obtient une matière incolore, qu’on peut colorer en la mélangeant à des oxydes métalliques (du cobalt pour le bleu, du cuivre pour le rouge, de l’antimoine pour le jaune…). Après refroidissement, ce mélange est solide. Réduit en poudre, on peut y ajouter de l’eau et obtenir ainsi une pâte qui peut être travaillée.
Aux XIIe et XIIIe siècles, Limoges s’illustre dans la production d’émaux peints sur cuivre, notamment les émaux champlevés, qui font sa réputation. Cette technique consiste à inciser la plaque de cuivre à l’aide d’un burin pour ménager les espaces où poser les émaux.
Cette production s’éteint avec la Guerre de Cent Ans (1337-1453) et se trouve remplacée par une autre, similaire, dans le dernier tiers du XVe siècle : les « émaux peints », sur une plaque de cuivre comme ici ou sur une pièce de forme (vase, coupe, plat). Dans le cas d’une plaque de cuivre, celle-ci est d’abord emboutie et martelée pour lui donner une forme légèrement bombée afin de résister aux cuissons et augmenter sa rigidité. Ensuite, l’émail est appliqué en couches sur la plaque.
Les couches d’émail, de couleurs différentes, sont appliquées et cuites successivement, en commençant par celles qui supportent les plus hautes températures. Sur notre plaque, des couleurs ont été utilisées pour l’arrière-plan composé d’un drapé vert, et d’une bibliothèque aux livres colorés. En revanche, le visage de saint Vincent de Paul est en « grisaille », on a donc superposé un émail blanc sur un fond noir. En grattant la matière avec des outils avant cuisson, on obtient une large gamme de gris.
Les artistes s’inspiraient souvent des gravures pour les modèles de leurs décors. Ici, la plaque reproduit une gravure (fig. 1), qui reprend elle-même un portrait peint par Simon François de Tours (1606-1671). La technique de décor en grisaille permet aussi de rappeler cette filiation avec le monde de la gravure par la similarité des couleurs.
Une telle plaque permettait ainsi d’avoir sur soi, ou chez soi, un petit objet de dévotion, raffiné et facilement transportable.
Les Laudin forment la principale dynastie d’émailleurs actifs à Limoges aux XVIIe et XVIIIe siècles. Jacques II Laudin (1663-1729) est le plus illustre représentant de cette famille qui possédait deux ateliers, dont un situé au faubourg de Manigne, mentionné sur l’inscription au revers de notre plaque. Celle-ci se distingue par son excellent état – les écoinçons en relief sont fragiles et souvent lacunaires dans les plaques de cette production – et la richesse de ses coloris. La richesse de la palette colorée qui contraste avec le fond neutre de la peinture originale fait de cet émail, de grande taille par rapport à la production courante des ateliers, un témoin précieux de la dextérité des artistes qui perpétuent le savoir-faire qui fait la renommée de Limoges depuis le XVIe siècle.