Ecole française du XVIIe siècle
Vue du domaine de Saint-Cloud depuis la Seine
Vers 1670
Huile sur toile
93,7 x 128 cm
Inv. 2024.3.1
Acquis auprès d’une galerie londonienne fin 2023, ce tableau offre un large aperçu du domaine de Saint-Cloud au milieu du XVIIe siècle, proche de l’emplacement du futur musée du Grand Siècle. Il permet également d’évoquer le domaine du duc d’Orléans, frère de Louis XIV, l’un des beaux parcs que nous ait légués le Grand Siècle, avec ceux de Sceaux et de Meudon.
Le château de Saint-Cloud
La fondation du château de Saint-Cloud remonte à la fin du XVIe siècle, lorsque Jérôme de Gondi, proche de la reine Catherine de Médicis qui lui a offert le terrain, fait bâtir une villa entourée d’un grand jardin. Dominant la Seine, ce premier édifice offrait une villégiature de qualité, avec des vues lointaines jusqu’à Paris. Le domaine passe en 1655 au banquier Barthélémy Hervart, qui fait agrandir et embellir les jardins. L’ensemble est finalement acquis en 1658 par Philippe d’Orléans (1640-1701), frère du Roi, appelé « Monsieur », dont le rang commandait la possession d’un grand domaine en Ile-de-France.
Monsieur, qui poursuit une habile stratégie d’acquisitions foncières, faisant passer le parc de 12 à 595 hectares, commence par des travaux ponctuels, dont la magnifique cascade, en 1665, confiée à l’architecte Antoine Le Pautre (1621-1679), ou un petit Trianon au sud du jardin, en 1671 (actuel pavillon de Breteuil). Les jardins sont embellis par André Le Nôtre (1613-1700), le fameux jardinier du Roi. Puis, à partir de 1676, Monsieur lance d’importants travaux pour transformer le château en un lieu plus digne de son rang. Il fait appel à l’entrepreneur Jean Girard, qui travaille sur des plans de Le Pautre, auquel succède bientôt le célèbre architecte Jules-Hardouin Mansart (1646-1708). Pour les décors intérieurs, Philippe d’Orléans sollicite les peintres Jean Nocret (1615-1672), et surtout Pierre Mignard (1612-1695), le rival de Charles Le Brun (1619-1690), qui réalise pour le plafond de la galerie du château de Saint-Cloud l’un de ses chefs-d’œuvre, autour du thème d’Apollon.
À la mort de Monsieur, le château devient la propriété de son fils, le futur « Régent », et se transmet ainsi de père en fils jusqu’en 1785, lorsque Louis XVI achète le domaine pour son épouse Marie-Antoinette. Dès lors, Saint-Cloud devient une résidence officielle de l’exécutif, et le château abritera tous les souverains français jusqu’à Napoléon III, qui le quitte en juillet 1870 pour rejoindre le front, lors de la guerre franco-prussienne.
Le 13 octobre suivant, alors que la défaite est consommée, un obus tiré du Mont-Valérien tombe sur le château et déclenche un incendie qui dure deux jours, sous l’œil amusé des Prussiens qui occupent alors Saint-Cloud. Les ruines grandioses du château restent en place durant vingt ans, avant que le gouvernement n’ordonne leur destruction en 1892 : comme celles du palais des Tuileries à Paris, rasées en 1883, la République n’a plus besoin de ces monuments-symboles.
Une représentation fidèle et détaillée
Appartenant à la veine des vues topographiques, avec un cadrage horizontale prononcé, ce tableau représente le domaine de Saint-Cloud vu depuis la rive opposée de la Seine, côté Boulogne. De gauche à droite, on reconnaît le bas-parc (qui touche au village de Sèvres, ici non visible, comme « l’île Monsieur »), puis au centre la grande cascade de 1665, que domine à droite le château, édifice rectangulaire de plan massé, puis le haut de la colline avec ses arbres alignés, enfin à droite, au bord de l’eau, la maison du Tillet ; cette propriété, achetée par Monsieur en 1659, sera rasée à la fin du siècle. Le site du musée du Grand Siècle se trouve juste après, hors du cadrage de la composition.
La vue présente donc un état intermédiaire, après le début de la transformation des lieux, mais avant qu’ils aient été entièrement reconfigurés. Le grand corps de logis, où ont habité dans un premier temps Monsieur et sa première épouse, Henriette d’Angleterre, est en effet considérablement agrandi dans la seconde moitié des années 1670 : devenu l’aile gauche du nouveau château, il est alors doublé à droite par un bâtiment symétrique, tandis qu’un grand corps de logis est élevé à partir de 1677 entre ces deux ailes, donnant au château une forme de U ouvrant sur la Seine.
On peut donc dater notre tableau entre 1665 et 1675 environ, qui apparaît ainsi contemporain d’une belle estampe publiée en 1671 par Israël Silvestre (fig. 1), montrant un état similaire.
À l’examen cependant, le tableau n’est pas un simple décalque de la vue de Silvestre : outre l’ajout de personnages, et de bateaux et d’un carrosse au premier plan, il a été réalisé à partir d’une observation directe du site, dont il donne une représentation très précise.
En témoignent deux détails : la vue parfaitement exacte du corps de logis, avec son garde-corps de fer forgé en partie doré protégeant le balcon filant du premier étage (fig. 2), et celle de la cascade, qui apparaît garnie d’arbustes dans des pots de faïence reconnaissables à leur couleur bleue.
Le centre de la composition est marqué par la grandecascade, œuvre d’Antoine Le Pautre que Le Bernin, venu en France pour travailler au Louvre, a vu lors de sa visite en 1665.
Cet ensemble monumental subsiste et peut toujours être admiré aujourd’hui. Se développant sur près de deux cents mètres de long, pour vingt mètres de dénivelé, il accompagne la topographie naturelle du terrain. Admirée depuis le XVIIe siècle, la Grande Cascade est approvisionnée en eau par un réseau d’aqueducs provenant de réservoirs aménagés en amont, à Ville-d’Avray. Elle fait l’objet, depuis l’automne 2023, d’une campagne de restauration qui doit durer quatre ans et permettra de faire redécouvrir sa beauté.
Souvenir d’une visite royale
Grâce à l’attention portée aux détails par l’artiste, on reconnaît sur la Seine des types d’embarcations connus et, surtout, une galère rouge. Absente de la gravure d’Israël Silvestre, celle-ci se retrouve sur d’autres tableaux contemporains : on la voit notamment sur une vue anonyme montrant La Grande Galerie du Louvre, le Pont Neuf, la Cité et le collège des Quatre-Nations, connue par plusieurs versions, dont l’une est conservée au musée Carnavalet à Paris(fig. 4).
Les textiles visibles sur le bateau sont en outre conformes à un ensemble décrit en 1672 dans l’Inventaire général du mobilier de la Couronne et qui servait « pour la galiote* du roy » : ce riche ensemble était fait « de damas rouge cramoisy, semez de fleurs de lis d’or en broderie » et comprenait entre autres un « tendelet » (abri aménagé à l’arrière du bateau) et des « flammes » au milieu desquels étaient brodés des soleils.
*Petite galère servant au transport de passagers sur les fleuves.