Écritoire

Attribuée à Alexandre-Jean OPPENORDT (1639-1715)

Vers 1700
Bois de chêne et de noyer, bois violet du Brésil, laiton, écailles rouge et brune, bronze doré et verre
H. 12,5 ; L. 37 ; l. 28 cm
Inv. 2022.2.1

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Notice détaillée

En 2022, le Conseil départemental des Hauts-de-Seine a acquis cette écritoire auprès de la galerie Steinitz pour enrichir les collections du musée du Grand Siècle consacrées à l’art de vivre.

Écrire au Grand Siècle

Au XVIIe siècle, l’écriture joue un rôle important et quotidien dans la vie de tous. Certes l’imprimerie existe depuis la Renaissance, mais elle reste un procédé coûteux et réservé aux publications importantes. La plupart des journaux sont alors encore écrits à la main, en plusieurs exemplaires, avant d’être distribués. Dès qu’il faut prendre note de quelque chose, il n’y a donc que l’écriture manuscrite. Surtout, c’est la correspondance, seul moyen alors de communiquer à distance, qui prend une part importante dans la vie des gens. En témoignent les fameuses sept cent soixante-quatre Lettres de Madame de Sévigné, qu’elle a rédigées et envoyées à sa fille Madame de Grignan pendant vingt-deux ans. Néanmoins, l’écriture n’était alors pas enseignée à tous et n’était donc réservée qu’à la noblesse, au clergé et, dans une moindre mesure, à la bourgeoisie.

Un objet utile

Le terme « écritoire » dérive du latin « scriptorium » (« cabinet d’étude ») qui désigne à l’origine la salle dans laquelle les moines recopient les textes anciens dans un monastère. À partir du XIVe siècle, le terme français apparaît, au féminin, et désigne une pièce de la maison, un petit meuble à tiroirs et l’écritoire portative. Jusqu’à la fin du règne de Louis XIII dans la première moitié du XVIIe siècle, on ne trouve que des écritoires portatives sous forme d’étuis ou de petits coffres, que l’on peut même parfois porter à la ceinture pour l’emporter facilement avec soi. L’écritoire renferme alors tout le nécessaire pour écrire mais chaque élément est indépendant : un encrier, petit récipient contenant l’encre ; une plume, généralement d’oie, qu’il faut régulièrement tailler ; une boîte à sable, pour sécher l’encre sur le papier. On peut aussi avoir une éponge pour essuyer sa plume. C’est au XVIIe siècle qu’apparaissent les écritoires comme celle de notre collection, où le nécessaire pour écrire est désormais regroupé dans un même objet.

Notre écritoire de forme rectangulaire, mais avec des lignes courbes légèrement concaves, possède quatre godets circulaires avec couvercle aux angles. Une écritoire comprend généralement plusieurs godets, l’un contenant l’encre, un autre le sable, et parfois un autre une éponge. Il est possible que cela ait été le cas ici, mais l’utilisation du quatrième godet reste inconnue. Un détail permet cependant une autre hypothèse. Tous les godets s’ouvrent vers l’extérieur, rendant l’utilisation par une seule personne peu commode. Cette écritoire pourrait en fait être une écritoire destinée à être utilisée par deux personnes en même temps, chacune d’un côté de l’objet, comme si elles travaillaient face à face. Deux godets auraient alors pu contenir de l’encre, les deux autres du sable. Enfin, un tiroir permet de ranger les plumes.

Un objet raffiné

Le raffinement de cette écritoire ne laisse aucun doute sur l’aisance financière de son premier propriétaire. Réalisée sur une âme en bois de chêne et de noyer, l’intérieur du tiroir est plaqué de bois violet du Brésil tandis que l’extérieur de l’écritoire est en marqueterie dite « Boulle ». Les éléments de décor en relief comme les mascarons ou les couvercles des godets sont quant à eux en bronze doré. L’intérieur des godets contient une doublure en verre.

La « marqueterie Boulle » associe l’écaille de tortue, que nous voyons ici rouge et brune, et le laiton (alliage de cuivre et de zinc). Pour la réaliser, on superpose la feuille d’écaille de tortue et la feuille de laiton et on appose sur celles-ci un dessin. On incise alors les feuilles en suivant les lignes du dessin pour obtenir simultanément deux fois le même motif : une fois sur la feuille d’écaille et une fois sur la feuille de laiton. On peut alors associer le motif en laiton au fond en écaille (« première partie ») et le motif en écaille au fond en laiton (« contre-partie »). Ici, nous avons la « première partie » puisque le motif est en laiton et le fond en écaille.

Son nom vient du fameux ébéniste de Louis XIV, André-Charles Boulle (1642-1732), qui n’en est pourtant pas l’inventeur. Cette technique est mise au point dans le Saint-Empire romain germanique et notamment utilisée à Augsbourg dans les années 1620 sous le nom de « tarsia a incastro ». Néanmoins, c’est bien Boulle qui contribue grandement à son développement, raison pour laquelle son nom y est associé a posteriori.

Une création attribuée à Alexandre-Jean Oppenordt

 

Si André-Charles Boulle est en effet considéré comme l’un des plus grands représentants de l’ébénisterie française, on en oublie souvent un autre grand nom : Alexandre-Jean Oppenordt (1639-1715). Originaire de Gueldre (Pays-Bas), fils d’un boucher, il arrive à Paris vers 1655-1660. Il travaille à la manufacture royale des Gobelins, avant d’être nommé « ébéniste ordinaire du Roi » en 1684 et d’obtenir un logement aux galeries du Louvre. L’année suivante, il livre deux bureaux pour le Petit cabinet du roi à Versailles, l’un est aujourd’hui revenu au château et l’autre est conservé au Metropolitan Museum de New York.

C’est à l’occasion de cette commande qu’Oppenordt collabore pour la première fois avec l’artiste de la Chambre du roi Jean Berain Ier(1640-1711), qui a probablement dessiné la composition du plateau des bureaux. Cette rencontre est décisive pour l’ébéniste qui reste longtemps fidèle aux modèles de Berain et les utilise de manière récurrente dans ses marqueteries. Le décor de grotesques de notre écritoire est donc probablement inspiré de dessins de Jean Berain. Cet artiste a contribué à leur redonner une place dans les arts décoratifs, notamment en diffusant ses modèles par la gravure. Les grotesques sont des motifs décoratifs antiques redécouverts à la Renaissance figurant des corps à la fois humains et animaux se terminant en rinceaux et autres motifs végétaux stylisés.

Cette écritoire est donc attribuée à Oppenordt par son décor mais aussi par son utilisation du bois violet du Brésil, bois précieux qu’il aimait employer, contrairement à ses contemporains. Hormis le Roi, les sources montrent que l’ébéniste devait pourvoir en meubles une clientèle très nombreuse parmi laquelle François Michel Le Tellier de Louvois, André Le Nôtre et même Charles XI, roi de Suède (1655-1697) pour qui il réalise en marqueterie Boulle le plancher de son carrosse (Stockholm, palais royal).