Giovan Francesco Romanelli

Allégorie de la Justice

Huile sur toile (transposée)
1646
196,5 x 181 cm
Inv. 2022.4.1

Le musée du Grand Siècle a préempté, le 2 décembre 2022 à l’hôtel Drouot, une importante Allégorie de la Justice de Giovan Francesco Romanelli, toile de forme octogonale, sans cadre. Provenant de l’hôtel parisien du cardinal Mazarin, mais jusqu’alors perdue, cette œuvre permet de mieux éclairer la carrière française du peintre et d’en compléter le corpus, alors que Romanelli attend toujours une monographie, mais encore de revenir sur le puzzle du riche décor peint du palais Mazarin, dispersé depuis deux siècles.

Une commande prestigieuse

Né en 1602, d’une famille d’origine sicilienne, Giulio Mazzarini commence sa carrière à Rome, avant de devenir nonce apostolique en France en 1634-1636. Il passe finalement au service de la Couronne en 1639, avec l’appui du cardinal de Richelieu, qui avait repéré en lui un diplomate de grand talent et qui le recommande en mourant à Louis XIII. Jules Mazarin devient alors principal ministre de la reine régente, Anne d’Autriche, et le parrain, au double sens du terme, du jeune Louis XIV. Habilement, le cardinal-ministre a choisi de se faire aménager une demeure dans le quartier neuf des Fossés-Jaunes, derrière le Palais-Royal où la reine régente s’est établie en octobre 1643. Il investit pour cela un hôtel rue neuve des Petits-Champs : élevée entre cour et jardin, la demeure a été bâtie en 1635 dans un goût traditionnel, avec des façades en brique et pierre (fig. 1). Mazarin y fait travailler dès 1644 l’architecte François Mansart (1598-1666), qui conduit une première campagne de transformations : création d’un nouvel escalier d’honneur, redistribution des appartements du corps de logis, enfin édification d’une grande aile sur jardin, destinée à abriter deux galeries superposées pour les collections de Mazarin. Pour le décor intérieur, en revanche, le cardinal souhaite faire venir des artistes italiens dont il apprécie le style et la manière démonstrative. Après le refus de Pierre de Cortone, il convainc un de ses élèves, le bolonais Romanelli, de faire le 
voyage en France.

Ce premier séjour parisien du peintre prend place entre mai 1646 et septembre 1647 ; le peintre est alors logé rue des Petits-Champs chez son commanditaire et travaille immédiatement au décor de la demeure, alors qu’un second chantier est lancé côté rue de Richelieu pour élever l’aile des écuries et la bibliothèque, avec le concours d’un architecte turinois, Maurizio Valperga.

 

Travaillant « con facilità e prestezza…» d’après l’abbé Elpidio Benedetti, l’agent de Mazarin à Rome Romanelli réalise d’abord, selon Silvia Bruno, deux tableaux qui sont signalés dans l’inventaire du palais en 1653 comme « La Justice et la Prudence en deux tableaux ronds pareilz, dans la première chambre basse ». Egalement appelée « chambre de l’audience », cette pièce était située au rez-de-chaussée du corps principal de l’hôtel, après la grande antichambre. De plan carré long, elle possédait trois baies, une sur cour et deux sur jardin. Ces deux toiles étaient des quadri riportarti montées dans un décor de bois sculpté et doré destiné à masquer le plafond à poutres et solives de la demeure d’origine. Peu après, Romanelli réalise la voûte de la « galerie Mazarine », toujours en place dans l’aile Mansart (fig. 2).

 

Un décor démonté

Cette chambre et son décor allégorique, renvoyant au propriétaire, ont certainement disparu avant 1754, quand cette partie de l’hôtel, devenue le siège la compagnie des Indes, a été remaniée et ses intérieurs modifiés. Mis en réserve, les tableaux de Romanelli, à l’évidence préservés en raison de leur qualité, réapparaissent peut-être au début de la Révolution, lors d’une vente du 14 avril 1790 : "deux tableaux dans leurs cadres dorés de forme octogone par Romanelli, représentant la Prudence et la Justice… proviennent du Garde Meuble". Ils sont en tout cas signalés comme étant déposés au ministère des Finances en novembre 1797, avec un troisième tableau de Romanelli, plus un quatrième de Salviati ; les dimensions des deux "octogones" sont alors indiquées : 7 pieds sur 6, soit 2,26 x 194 cm. Le ministre Ramel les concède à son collègue ministre de la Justice, Lambrechts, avant mars 1799. Malgré leur inscription sur les inventaires du Louvre en 1810 et 1824, leur provenance se perd et le ministère de la Justice procède à leur vente via les Domaines vers 1830, opération ratifiée peu après par la Commission des inventaires. Jusqu’ici, seule la Prudence, conservée dans une collection particulière parisienne, était connue ; si elle a été mise en carré (200 x 153 cm), la trace de l’ovale d’origine y est bien lisible selon Silvia Bruno, qui a pu l’examiner directement. Quant à la Justice, elle a conservé son format octogonal du XVIIIe siècle, mais la réapparition du tableau a permis le même examen, qui révèle également l’ancien format ; celui-ci n’est en réalité pas exactement un ovale, mais plutôt un cercle légèrement déformé.

Une double allégorie

Dans le tableau réapparu en 2022, Romanelli a représenté la Justice sous les traits d’une femme au port altier, assise sur un nuage, dont la tunique orange semble animée par les vents ; elle se détache majestueusement sur un ciel bleu intense, bien dans la manière du peintre, dont « le dessin correct et gracieux, le coloris frais furent très prisés à Paris » (Alain Mérot). Sa chemise blanche est en revanche le résultat d’une altération d’une gomme-laque : elle devait plutôt tirer sur le rose-mauve, dont subsistent quelques traces colorées. Tenant dans une main la balance et de l’autre un faisceau de licteur, habile allusion aux origines romaines de Mazarin et à ses armoiries, la figure offre une légère déformation qui confirme sa présentation en décor plafonnant. Si la toile, modifiée dans son format et surtout transposée, a souffert du temps, la restauration fondamentale réalisée en 2023-2024 (Emmanuel Joyerot pour le support et Cinzia Pasquali pour la couche picturale) lui a rendu sa beauté douce et ferme à la fois, notamment son ciel bleu dont le lapis-lazuli est bien conservé.

Avec le tableau provenant du décor de l’hôtel Lambert (Paris, musée du Louvre) et celui récemment retrouvé provenant de l’hôtel Particelli, cette Justice vient donner un peu plus de consistance au corpus du premier séjour parisien de l’artiste. Sa restauration s’inscrit dans un « moment Romanelli », qui a touché la voûte de la galerie Mazarine, restaurée en 2018-2019, et surtout les plafonds de l’appartement d’été d’Anne d’Autriche au Louvre, récemment dévoilés après leur restauration. Exposée dès le mois prochain au pavillon de préfiguration au Petit Château de Sceaux, elle sera remontée à Saint-Cloud, dans la salle consacrée à l’art de peindre.

L’Allégorie de la Justice de Romanelli permet ainsi au musée du Grand Siècle d’évoquer la figure de Mazarin, le décor disparu d’une célèbre demeure parisienne, mais encore la carrière française d’un grand peintre italien, acteur majeur des liens artistiques entre Rome et Paris, nouvelle Rome, au milieu du XVIIe siècle.

Bibliographie

Coll., Richelieu. Quatre siècles d’histoire architecturale au cœur de Paris, dir. Adrien Conraux et Christine Mengin, Paris, Bibliothèque nationale de France et Institut national d’histoire de l’art, 2017.

Bruno, Silvia, « Giovan Francesco Romanelli a Parigi : prime opere per Giulio Mazzarino », Paragone, nos 871-873, septembre-novembre 2022, p. 3-21.