Jan GHERMAENS ou Jean ARMAND (avant 1600 – 1670)

Coffret aux armes de l’Oratoire

Signé sur le dessus « J. Harmens »
Vers 1650-1660
Bois de cèdre et ébène, marqueterie d’écaille de tortue, nacre et ivoire, ferrures et poignées de métal doré.

H. : 21,5 cm ; L. : 50 cm ; Pr. : 34 cm

inv. 2022.5.1

Notice interactive

En 2022, le musée du Grand Siècle a pu acquérir un somptueux coffret en marqueterie qui porte de manière très exceptionnelle la signature de son créateur.

Notice détaillée

En 2022, le musée a acquis sur le marché de l’art un grand coffret en marqueterie orné de motif de grotesques et des armes de l’Oratoire de France. Il porte, de manière très exceptionnelle pour l’époque, la signature de son créateur, l’ébéniste Jean Armand.
Au début du XVIIe siècle, le coffret se décline en cassettes et autres layettes, fréquemment mentionnés dans les inventaires. Il fait partie des objets indispensables de la vie domestique dans les milieux aisés.

Jean Armand, « menuisier en ébeyne du Roy » 

Cet exceptionnel coffret est l’œuvre de Jean Armand (vers 1600-1670), de son vrai nom Jan Ghermaens, ici orthographié « J. Harmens ». Installé à Paris vers 1630-1635, il était sans doute originaire de Flandre, comme de nombreux artisans spécialisés dans le travail du bois d’ébène plaqué, attirés dans la capitale française par la vogue grandissante des meubles précieux et une forte demande de la part de commanditaires nombreux.

Dès 1640, Jean Armand est qualifié de « menuisier du Roy en ébeyne », tandis qu’en 1649, il demeure au faubourg Saint-Germain, à proximité du Palais du Luxembourg, alors propriété de Gaston d’Orléans, oncle de Louis XIV. Par la suite, il sera désigné comme « maître ébéniste du duc d’Orléans » ou comme « ébéniste de la reine et du duc d’Orléans ». Dans les années 1660, il est cité à plusieurs reprises dans les comptes des bâtiments du roi et travaille pour la Couronne, entre autres pour le Reine-mère Anne d’Autriche, exécutant notamment des parquets et estrades pour les différentes résidences de la famille royale.

Le décor à arabesques

Le coffret est daté vers 1650-1660, période à laquelle la vogue de l’ébène commence à s’effacer au profit de la marqueterie d’écailles et autres matériaux précieux. Le travail d’Armand présente souvent des motifs caractéristiques de grotesque. Les rinceaux végétaux en ivoire sur fond d’écaille sont habités de bustes féminins ailés et de têtes évoquant des personnages imaginaires. Ce type de motifs ornementaux est dit « arabesque » à partir du XVe siècle en Occident bien qu’ils ne soient pas spécifiquement liés à l’art islamique. Très présents dans le monde antique gréco-romain, ces motifs de rinceaux habités sont redécouverts par les artistes de la Renaissance et largement diffusés par la gravure.

Les motifs du coffret d’Armand peuvent ainsi être rapprochés d’un répertoire décoratif germanique, diffusé par le graveur d’Augsbourg Lucas Kilian (1579-1637) qui publie en 1627 un alphabet ornemental Newes ABC Büchlein. On sait par les archives qu’Armand possédait plusieurs ouvrages allemands dans sa bibliothèque et qu’il était proche des cercles d’artisans catholiques allemands et hollandais. Il n’est donc pas étonnant de retrouver cette influence dans sa production artistique. 

L’ordre de l’Oratoire

Ce coffret au décor composé de matières précieuses présente au centre du couvercle un motif de couronne d’épines et l’inscription « IESVS MARIA ». Il s’agit de l’emblème de la Société de l’Oratoire de Jésus et de Marie, dite Oratoire de France. Cette congrégation a été fondée en 1611 par Pierre de Bérulle (1575-1629), représentant majeur de l’Ecole française de spiritualité. L’Oratoire de France est une société de vie apostolique, vouée à l’enseignement et à la formation du clergé. Il a d’abord pour mission de former les clercs à une vie de piété, aux lettres et aux sciences. Tous ses membres se consacrent à la prière, à l’oraison et au travail de la pensée. Les oratoriens français participent ainsi activement à la réforme du clergé au XVIIe siècle. Dans le contexte de la réaction de l’Eglise catholique face à l’apparition et au développement du protestantisme, l’éducation du clergé apparaît comme indispensable dans la politique de réaffirmation du Dogme et pour aider le clergé à mieux guider le peuple chrétien.

L’Oratoire a su compter sur le soutien des reines de France. Marie de Médicis (1675-1642) qui soutient Bérulle, puis Anne d’Autriche (1601-1666), fille de Philippe III d’Espagne et épouse de Louis XIII, étaient proches de l’Oratoire. Souvent donnée en exemple de reine dévote et charitable, Anne d’Autriche, fondatrice du Val-de-Grâce, est entourée de dévots et de nombreux religieux. Pierre de Bérulle est membre de la chapelle de la Reine, institution composée de clercs dont le rôle est de seconder et assister la reine dans sa pratique religieuse. L’inspiration oratorienne s’accroît au fil des années et l’ascendant de Bérulle sur la reine mère est considérable. En raison de sa richesse et de la proximité de son auteur avec les Grands du royaume, on peut donc supposer que ce coffret a pu appartenir à un membre de l’Oratoire proche de la Cour.

Une belle provenance

Si on ignore encore pour qui cette œuvre a été réalisée, on connaît en revanche son histoire depuis le XIXe siècle. Il appartenait alors à Stéphane de Noury, important collectionneur d’Orléans qui le prête en 1855 pour une exposition rétrospective organisée à l’occasion de l’inauguration d’une statue équestre représentant Jeanne d’Arc. Le coffret est alors décrit comme un « coffre de chapelle ». L’œuvre est également présentée à Paris lors de l’Exposition universelle de 1867 dans une nouvelle section consacrée à une exposition rétrospective de l’histoire du travail en France. L’objectif est de montrer une sélection d’œuvres permettant de caractériser les grandes époques de l’histoire du travail antérieures au XIXe siècle et qui n’ont, à ce titre, pas leur place dans le reste de l’Exposition.La visée est pédagogique et il s’agit notamment de faciliter l’étude et la comparaison des productions humaines de différentes époques et de différents peuples en présentant les meilleures productions pour favoriser l’excellence.

La collection de Stéphane de Noury est vendue en janvier 1900 par ses héritiers. Le coffret aux armes de l’Oratoire a par la suite appartenu à la célèbre styliste Elsa Schiaparelli (1890-1979). Il témoigne de son éclectisme, de son intérêt pour les pièces décoratives, pour le facétieux et pour l’exotisme. Il révèle son goût pour les univers emplis de curiosité, au sein d’une collection où se mêlaient les ornements de bureau en corne de bélier, figures africaines en bois sculptés, et autres éléments décoratifs de style et d’époques variés.

Bibliographie

Un Temps d'exubérance, les arts décoratifs sous Louis XIII et Anne d'Autriche, Paris, éditions de la Réunion des musées nationaux, 2002.
Nouvelles Acquisitions du département des Objets d'art, 1990-1994, Paris, Musée du Louvre, 1995, p. 116-117.
BIMBENET-PRIVAT, Michèle, Les Orfèvres et l'orfèvrerie de Paris au XVIIe siècle, Paris, 2002.
DEMESTRESCU, Câlin, « Jean Armand un ébéniste redécouvert du temps de Louis XIV », Institut Istoria Artei, Studii şi cercetări de istoria artei. Artă plastică, nouvelle série, Tome 1 (45), 2011, p. 49-82.
DESNOYERS, François-Edmond, « La collection de Noury », Bulletin de la Société archéologique et historique de l’Orléanais, t. XII, n° 171, premier trimestre 1901, p. 600-694.
REINIER BAARSEN, Kwab, Ornament as Art in the Age of Rembrandt, Rijksmuseum, Exhibition June to September 2018.