Jean II Cotelle, dit le jeune (1646-1708)

Eliezer et Rébecca au puits

Gouache sur vélin tendu sur panneau 
19,5 x 32 cm 
Cadre sculpté en bois doré d’origine

Notice interactive

Notice détaillée

Jean II Cotelle, un artiste aux multiples talents dans la France du Grand Siècle

Issu d’une famille d’artistes - son père, Jean I Cotelle était un décorateur de grand talent - Jean II Cotelle est formé à l’art de la miniature probablement auprès du peintre Henri Chéron. De retour d’Italie où il s’était rendu pour parachever son apprentissage, il est agréé à l’Académie royale de peinture et de sculpture en 1671 sur présentation d’un petit « tableau de mignature », le Ravissement des Sabines. Sa réception dans l’institution est confirmée l’année suivante par la présentation de l’Entrée du Roi et de la Reine dans Paris sous des figures allégoriques. Au Salon de 1673 organisée par l’Académie royale dans la Cour du Palais-Royal, il expose un Paysage avec Moïse dans un berceau présenté à la fille de Pharaon et un Sacrifice

Vers 1678, l’artiste participe à l’illustration des Campagnes de Louis XIV, grands recueils manuscrits sur vélin illustrant les victoires royales. Ne se limitant pas aux œuvres de petit format, Cotelle réalise également des ensembles décoratifs, en particulier au château de Saint-Cloud pour lequel il livre des tableaux sur l'histoire de Vénus et Enée destinés au cabinet des bijoux. Son œuvre la plus importante reste la commande de vingt-et-une toiles représentant les bosquets de Versailles pour orner la galerie de Trianon (appelée aujourd’hui la Galerie des Cotelle). 

 

Il reprend chacune de ses compositions en miniature. En 1682, il se voit également confier l’exécution d’un May pour Notre-Dame de Paris, les Noces de Cana (Yssingeaux, église Saint-Pierre). En 1693, Cotelle quitte Paris pour la Provence et s’arrête à Lyon où il aurait exécuté le décor du plafond du grand salon pour le château de la Damette. De 1695 à 1700, il s’installe à Marseille où il peint le décor de la grande salle de l’Hôtel de Ville, et devient même co-directeur de l’opéra. Il réalise également des décors éphémères comme l’entrée dans la Ville d’Avignon du duc de Bourgogne et du duc de Berry.

De retour à Paris en 1703, Jean II Cotelle poursuit ses activités à l’Académie jusqu’à son décès en 1708. Il participe au Salon organisé en 1704 dans la Grande galerie du Louvre, où il expose treize œuvres dont « Rébecca qui reçoit des joyaux du serviteur d’Abraham », qui est très probablement l’œuvre qui nous occupe aujourd’hui. Redécouverte à l’occasion de la récente exposition Jean Cotelle, des jardins et des dieux, qui s’est tenue au château de Versailles en 2018 (sous la direction de Béatrice Sarrazin), cette miniature, acquise par le musée du Grand Siècle auprès de la galerie Talabardon et Gautier, présente toutes les caractéristiques de son style.

De « l’art de peindre en petit »

Le format exigeant que la composition soit la plus nette possible, la miniature est une technique qui demande quelques précautions particulières. Le dessin est minutieusement préparé par l’artiste avant d’être calqué sur le vélin, pour éviter les erreurs (les repentirs). Après avoir étalé la gouache mêlée d’eau et d’un peu de gomme, le peintre finit la mise en couleur à la pointe du pinceau, en « pointillant » les zones où il souhaite relever les valeurs. D’après les spécialistes de cette technique, les meilleurs fonds sont ceux de vélin tendu sur un cadre de bois ou sur du cuivre.

Un sujet plein de richesses…

Le sujet, inspiré d’une dizaine de versets de la Genèse est développé dans les Antiquités judaïques de Flavius Josèphe : le serviteur d’Abraham, Eliezer, est dépêché par son maître pour traverser la Mésopotamie afin de trouver Rébecca, l’épouse qu’il destine à son fils Isaac. Il demande à Dieu de lui venir en aide pour la reconnaître : parmi toutes les jeunes filles qu’il verra puiser de l’eau au puits, Rébecca sera celle qui lui proposera spontanément à boire à lui et à ses chameaux. Il saura alors que Dieu agrée cette union et qu’elle est bien celle qu’Abraham a choisi pour son fils : il pourra ainsi lui offrir les riches présents envoyés par son maître.  

Parvenu auprès du puits, Eliezer demande à boire. Les jeunes filles présentes refusent, prétextant la difficulté pour elle de puiser encore de l’eau : seule Rébecca s’avance et lui offre d’abreuver, de surcroît, chacun de ses chameaux. Ses qualités d’âme et de cœur se verront récompensées par l’offrande de cadeaux, devant le groupe de femmes dépitées.

Le choix d’une fiancée hors du commun, distinguée par sa bonté, préfigure celui de la Vierge Marie désignée par l’Ange Gabriel. Pour accentuer le parallèle entre l’Ancien et le Nouveau Testament, Rébecca est souvent représentée parée de vêtements d’un bleu céleste. Pour le peintre, il s’agit donc de rendre aussi bien la beauté de son âme que la grâce de son apparence.

Dans une interprétation du sujet devenue célèbre, Nicolas Poussin déploie dans un vaste paysage antiquisant autour de l’humble Rébecca les expressions des jeunes filles récalcitrantes : l’incompréhension, l’envie, la jalousie, le regret. Peint pour le banquier et collectionneur Jean Pointel en 1648, le tableau avait rejoint les collections royales en 1668 et était devenu un modèle pour tous les peintres. De ce chef-d’œuvre, Jean Cotelle retiendra la composition en frise ponctuée de motifs antiquisants, comme la colonne surmontant le puits.

Le détail des chameaux assoiffés d’Eliezer permet aussi aux artistes de déployer une touche d’exotisme dans leur composition. Chez Sébastien Bourdon, devant un paysage où l’architecture antique voisine avec des palmiers vivaces, le troupeau d’Eliezer figure à droite : un petit singe au regard malicieux est même juché sur l’un des chameaux.

Dans la version de Cotelle (qui connaissait bien l’art de Bourdon car son beau-frère Nicolas Loir avait été son élève), les deux chameaux sont au centre de la composition et permettent au spectateur d’identifier clairement le sujet. Au premier plan, Eliezer étale les présents envoyés par son maître pour honorer Rébecca.

En reprenant ce sujet, Cotelle saisit l’opportunité de se confronter à une narration ambitieuse sur un petit format pour faire la démonstration de la virtuosité de sa technique.  Il reprend à Poussin l’aspect statuaire des figures, la composition classique et la nourrit de détails. Il insiste davantage sur quelques-uns des éléments de la narration comme les bagages d’Eliezer descendus des chameaux et l’offrande des présents. Il accorde une importance accrue aux détails du paysage, comme les touffes d’herbes au premier plan, accusant un net souci du détail.

Cotelle fait partie des peintres qui ont fait de la miniature leur médium de prédilection. Au sein de sa muséographie, le futur Musée du Grand Siècle rendra hommage à cette spécialité cultivée par des artistes de talent, comme Joseph Werner, Nicolas Robert Jean Joubert, ou encore Louis du Guernier et Jean Petitot pour le portrait. Ce domaine a également attiré un certain nombre d’artistes femmes comme Elisabeth-Sophie Chéron, Antoinette Hérault ou Anne-Renée Strésor.