Juste d’Egmont (1601-1674)

 Saint Hyacinthe intercédant auprès de la Vierge

Vers 1630-1640
Huile sur bois
53,5 x 46 cm
Inv. 2024.7.1
 

Offert par la Société des Amis du musée du Grand Siècle ce tableau est dû au peintre Justus van Egmont (1601-1674). Né à Leyde, il est connu en France sous le nom de Juste d’Egmont. Formé à Anvers, il voyage en Italie, avant d’intégrer en 1620 l’atelier de Pierre-Paul Rubens (1577–1640). L’année suivante, il suit son maître à Paris pour collaborer au cycle de la vie de Marie de Médicis destiné au palais du Luxembourg. Lors du départ de Rubens pour l’Espagne, Juste d’Egmont reste en France où il intègre la guilde de Saint-Luc en 1628. En 1648, il fait partie des membres fondateurs de l’Académie royale de peinture et de sculpture. Il collabore avec Simon Vouet pour la réalisation de cartons de tapisserie et s’impose comme portraitiste à la cour de Louis XIII puis de Louis XIV. Il est particulièrement apprécié de Louis II de Bourbon, dit le Grand Condé.
 

Signé de la main de Juste d’Egmont, ce tableau portait le titre d’Invocation de sainte Geneviève pour le mal des Ardents lors de son dernier passage en vente. Vanessa Selbach, chef du service de l’estampe ancienne et de la réserve du département des Estampes et de la photographie de la Bibliothèque nationale de France, a su y reconnaître une iconographie plus pertinente : saint Hyacinthe intercédant auprès de la Vierge.
 

Debout à gauche sur un piédestal, un religieux domine la scène. Il porte une robe blanche et ample sous un scapulaire blanc, tissu reposant sur les épaules et couvrant le devant et le dos, et une chape noire. Cet habit correspond à de l’ordre des Dominicains. Debout devant une statue de la Vierge à l’enfant, le religieux brandit vers la foule un ostensoir, exposant aux fidèles l'hostie consacrée. Grâce à ces attributs significatifs, ce clerc peut être identifié comme étant saint Hyacinthe, né avant 1200 en Pologne. En 1240, alors qu’il célèbre la messe dans une église à Kiev en Russie, Hyacinthe apprend l’invasion de la ville par les Tatars. Tentant de s’enfuir avec la boîte contenant le Saint-Sacrement, il entend la voix de la Vierge lui demandant de ne pas abandonner son effigie. Il s’empare alors de la statue de marbre, et, insensible à son poids, marche avec elle jusqu’à Cracovie. Il y meurt le 15 août 1257, jour de l’Assomption, et est enterré dans l’églisedes Dominicains de cette ville.

Contrairement à ce que l’on croyait avant que Vanessa Selbach n’éclaire cette iconographie, la figure dans les nuées ne serait donc pas sainte Geneviève, mais la Vierge couronnée et accompagnée d’anges musiciens, que Hyacinthe implore pour venir en aide aux nécessiteux. Le saint était réputé pour avoir accompli de nombreux miracles, qu’évoquent les personnages souffrants dans le registre inférieur de la composition. Pamis ses hauts faits, saint Hyacinthe aurait fait repousser des champs de blés abattus par la grêle, ce qui pourrait expliquer la gerbe de blé que brandit le personnage placé à l’extrême gauche de la composition. Prenant à parti le spectateur, cette figure intrigue. Pourrait-il s’agir d’un autoportrait de l’artiste ?

Cette nouvelle identification iconographique est confirmée par Claire Rousseau, ancienne chercheuse au Centre André-Chastel et docteur en histoire de l’art. Sa base de données en ligne sur l'iconographie dominicaine gravée a permis de comparer la grisaille de Juste d’Egmont à une gravure réalisée par Pierre Daret (vers 1604-1678) représentant Saint Hyacinthe guérissant les malades par l’intercession de la Vierge. L’estampe interprète une peinture disparue de Jacques de Létin (1597-1661), exécutée entre 1626 et 1630 pour l’autel de la chapelle Saint-Hyacinthe de l’église des Jacobins réformés du faubourg Saint-Honoré à Paris.

Au faîte d’une composition pyramidale, saint Hyacinthe tient un ostensoir à côté d’une statue de la Vierge à l’Enfant. La scène se déroule dans une église. Dans le registre supérieur, la Vierge apparaît avec l’enfant Jésus pour répondre aux prières en donnant au saint le pouvoir de guérir. En contrebas des marches, les malades attendent un miracle. Les attributs du saint, la posture de la femme tenant son enfant, la disposition des fidèles auprès d’un escalier rappellent la grisaille du musée du Grand Siècle. Il semble que Juste d’Egmont se soit inspiré du tableau de Jacques de Létin qu’il     a pu observer lors de son séjour parisien ou, à défaut, connaître par l’estampe de Pierre Daret. Dans celle-ci, un ange dépose une couronne végétale sur la tête du saint déjà auréolé, tandis que dans l’huile sur bois du peintre flamand, la Vierge a encore la couronne dans ses mains.

Le terme grisaille désigne une peinture en camaïeu de gris, ou brun, parfois réhaussé de tons bleus, verts ou jaunes. Pour Saint Hyacinthe intercédant auprès de la Vierge, exécutée vers 1630-1640 à Paris, Juste d’Egmont use d’une gamme tonale de différents niveaux de gris. Les plis des drapés, les accessoires des figures, la statue de la vierge ainsi que les colonnes d’ordre corinthien sont réhaussés de blanc. Ces accents lumineux soulignent les volumes. L’artiste traite le ciel dans un gris bleuté. La Vierge est auréolée symboliquement d’un gris tirant vers le jaune. Dans l’angle du registre inférieur droit, la silhouette d’un homme étendu sur les marches se distingue à peine. Cette transparence pourrait révéler un repentir. L’absence de couleur oblige à un travail minutieux sur la lumière avec des zones très contrastées pour renforcer les effets dramatiques. À l’ombre, les contours des corps ne sont pas parfaitement nets donnant à certaines figures un aspect vaporeux et presque spectral. Les figures dans la lumière sont plus détaillées. La peinture présente des touches plus épaisses, notamment sur les drapés et les muscles, qui captent la lumière et accentuent les reliefs. Plusieurs autres grisailles de la main de Juste d'Egmont sont connues, dont la Sainte Famille du musée de Chalon-sur-Saône ou encore l’Odorat compris dans la donation Pierre Rosenberg au musée du Grand Siècle.

Qu’elle soit l’esquisse d’un projet artistique ou une œuvre autonome, la grisaille s’exerce sur de multiples supports. Toutefois, il est certain qu’au XVIIe siècle les peintres flamands ont privilégié la peinture sur bois. Juste d'Egmont s’inscrit dans cette tradition en réalisant son tableautin sur un panneau de bois. Le début du XVIIe siècle marque également l’apogée de la grisaille préparatoire pour la gravure dans les Flandres. En France, les artistes l’emploient particulièrement pour des esquisses de décor.

La structure et le dynamisme de la composition de Saint Hyacinthe intercédant auprès de la Vierge témoignent de l’influence de Pierre Paul Rubens. Le Miracle de saint François Xavier est une huile sur toile réalisée par Rubens vers 1618-19 pour l’église des jésuites d’Anvers. Rubens et Juste d’Egmont organisent leurs deux œuvres en trois registres : le monde céleste, le saint médiateur, et le monde terrestre. Les deux religieux dominent une foule de malades et d’infirmes. Le prolongement du bras baissé de saint Hyacinthe forme une diagonale orientant le regard du visiteur vers la terre tandis que son regard le guide vers la figure céleste de la Vierge.  Cette diagonale est également présente chez Rubens mais inversée. Saint François Xavier pointe de son doigt le ciel et fixe la foule. L’architecture, les colonnes d’ordre corinthien et les marches participent à la structure de la composition renforçant l’impression d’élévation soulignée par les jeux de lumière. Les deux peintres représentent une scène dramatique et théâtrale. Les figures de Rubens sont expressives et ont une musculature puissante. Il semble que Juste d’Egmont conserve cette expressivité tout en l’adoucissant. Il se distingue de son maître par une exécution plus mesurée. Il privilégie la clarté et l’équilibre dans sa grisaille.

Faut-il voir dans Saint Hyacinthe intercédant auprès de la Vierge un modello, étude préparatoire à l’échelle réduite d’une peinture, ou un travail préparatoire en vue de la création d’une estampe ? Juste d’Egmont a déjà eu recours à cette pratique durant sa carrière artistique. Entre 1639 et 1640, il peint à l’huile sur bois une nativité en grisaille. Le sujet montre Louis XIII et Anne d’Autriche accompagnés par le Dauphin, le futur Louis XIV, adorant l’enfant Jésus en présence de Marie et Joseph dans une étable. Cette peinture de petit format est une étude conçue pour une gravure anonyme, L’adoration et offrande de la France au dauphin des cieux datée de 1640. La gravure était un moyen de diffusion des images religieuses et politiques au XVIIe siècle. La représentation de Saint Hyacinthe pourrait ainsi témoigner de la réflexion de Juste d'Egmont sur la définition des volumes, des contrastes, et la disposition des corps, avant une éventuelle transposition en estampe. La gamme de gris, les contours définis des figures, l’équilibre de la composition facilitent le travail du graveur. Le format modeste de l’œuvre permet de voir si la scène reste lisible sans couleur, et présume également l’intention d’étude de l’artiste.
 

  Bibliographie

Association des anciens élèves de l'École polonaise, « Variétés : Saint Hyacinthe de Pologne », dans Bulletin polonais littéraire, scientifique et artistique, Paris, Association des anciens élèves de l'École polonaise,1894, p. 235-237.

HÉMERY Axel, Pas la couleur, rien que la nuance ! : trompe-l’œil et grisailles de Rubens à Toulouse-Lautrec, cat. expo. [Toulouse, Musée des Augustins, 15 mars 2008 - 15 juin 2008], Toulouse, Musée des Augustins, Musée des Beaux-Arts de Toulouse, 2008.

ROUSSEAU Claire, « Hyacinthe de Cracovie », dans L'Ordre des Prêcheurs : Estampes dominicaines au XVIIe siècle [Base de données en ligne], Wordpress. Consulté en février 2025, voir dans estampesdominicaines.com

SAINTE-MARIE Jean-Pierre, THUILLIER Jacques, Jacques de Létin : Troyes, 1597-1661, Troyes, Musée des beaux-arts de Troyes, 1976.