Lunarium de Philippe de La Hire

Henri Macquart (v. 1662 – après 1731)

Laiton doré, martelé et gravé
Paris, 1703
H. totale : 35,2 cm.
Disque A (grand disque support) : D. 30,9 ; Ep. 0,16 cm.
Disque B (phases de la Lune) : D. 24,6 ; Ep. 0,11 cm.
Disque C (avec index) : H. 27,7 cm ; D. 23 cm ; Ep. 0,15 cm.
Disque D (avec signature et table astronomique) : D. 16,9 ; Ep. 0,12 cm.
Alidade : L. 15,2 cm ; l. 1,9 cm ; Ep. 0,18 cm.

Au printemps 2022, le Conseil départemental des Hauts-de-Seine a acquis auprès de la galerie Delalande ce lunarium, qui vient enrichir les collections du musée du Grand Siècle consacrées aux sciences.

Notice interactive



L'Observatoire de Paris

Si la Renaissance est reconnue comme le "siècle des Grandes Découvertes" tandis que le XVIIIe est celui des "Lumières", on oublie souvent que le XVIIe siècle a lui aussi joué un rôle majeur dans le développement des sciences. Colbert prend rapidement conscience de l’importance de celles-ci pour le développement du royaume et le rayonnement de son souverain et incite Louis XIV à fonder l’Académie royale des Sciences en 1666. Le Grand Siècle permet alors aux domaines scientifiques de devenir de véritables disciplines institutionnelles, réparties en six classes : géométrie, astronomie, mécanique, anatomie, chimie et botanique.

Un an plus tard, on entreprend la construction de l’Observatoire de Paris, bâtiment toujours existant, situé dans l’actuel XIVe arrondissement de la capitale. Les savants tracent à l’emplacement de l’Observatoire le "méridien de Paris", ligne imaginaire reliant les deux pôles de la Terre et permettant des calculs de longitude. C’est aussi sur lui qu’est basée l’heure locale française et ce jusqu’en 1911, date à laquelle la plupart des pays du monde adoptent le méridien de Greenwich en Angleterre comme référence.

Philippe de La Hire (1640-1718)

Parmi les astronomes attachés à l’Observatoire de Paris se trouve Philippe de La Hire, à l’origine de l’objet présenté. Fils du célèbre peintre Laurent de La Hyre (1606-1656), c’est donc naturellement qu’il s’intéresse d’abord à la peinture et au dessin. Mais lors de son voyage initiatique à Rome, il découvre la géométrie et les mathématiques et délaisse alors progressivement la peinture. Il devient membre de l’Académie royale des Sciences en 1678, institution dont il deviendra directeur en 1718.

Philippe de La Hire s’intéresse à plusieurs disciplines scientifiques : cartographie, géométrie, botanique, gnomonique (art de concevoir des cadrans solaires), mécanique, physiologie, stéréotomie (art de la coupe des pierres). Néanmoins, il se distingue de ses confrères par sa capacité à entremêler des domaines d’études qui étaient alors pratiqués séparément. Ainsi lorsqu’il est professeur à l’Académie d’Architecture, il se sert de ses connaissances scientifiques mais aussi de sa formation de dessinateur pour enrichir son enseignement.

Logeant à l’Observatoire à partir de 1682, Philippe de La Hire est chargé notamment d’observer le ciel. Le jour, il relève les données du baromètre (pour mesurer la pression atmosphérique) et note les phénomènes météorologiques. Il est aussi chargé de mesurer la quantité d’eau de pluie tombée et de dresser un bilan mensuel de la pluviométrie afin de déterminer la rapidité de remplissage des réservoirs d’eau mis en place à Versailles pour alimenter les fontaines des jardins. Le soir, il note tous les phénomènes particuliers, éclipses, passages de comètes, taches du soleil… Philippe de La Hire peut ainsi être considéré comme l’un des précurseurs de la météorologie actuelle.

Un objet pour déterminer les dates des éclipses lunaires et solaires

C’est en 1685 que Philippe de La Hire donne la première description de son lunarium dans le Journal des Savants, qui retranscrit les procès-verbaux de l’Académie des sciences : "Explication et construction d’une nouvelle machine qui montre toutes les éclipses tant passées que futures […]", avant de la publier dans ses Tabulae astronomicae en 1702. Ce lunarium est très probablement la "Machine des éclipses de De La Hire" présentée en 1704 au château de Marly avec les fameux globes de Coronelli (Paris, BnF). Bien que d’autres aient fabriqué des lunariums avant lui, Philippe de La Hire a participé au perfectionnement de l’instrument et l’a rendu plus facilement utilisable.

Cet objet permet de dire quand auront lieu, chaque année, les éclipses lunaires et solaires. Grâce à cela, Philippe de La Hire voulait essayer de calculer la longitude, mesure sans laquelle on ne pouvait se repérer d’est en ouest, ce qui causait de nombreux problèmes en mer.


Le lunarium est composé de quatre disques, que son inventeur appelle "platines", superposés les uns sur les autres.


Sur le Disque 4, au centre, Philippe de La Hire a fait inscrire la date de début de l’année lunaire pour chaque année civile. Par exemple, en 1703, l’année lunaire (la n°24) commençait le 14 juin à 9h51.

Le Disque 1 présente une frise indiquant les jours et mois de l’année tandis que le Disque 2 indique le numéro de l’année lunaire. En faisant tourner les disques, on peut alors placer l’onglet sur la date qui nous intéresse, ici le 14 juin, année lunaire 24.

Les trous du Disque 3 vont alors faire apparaître les éclipses lunaires et solaires qui auront lieues au cours de l’année. La quantité de couleur visible à travers le trou indique la taille de l’éclipse et la couleur indique le type d’éclipse :

- La couleur rouge indique une éclipse lunaire ;
- La couleur noire indique une éclipse solaire.

On utilise l’alidade pour reporter les données. Cet élément ressemblant à l’aiguille d’une montre, qui va du centre à l’extrémité de l’instrument, est une sorte de règle qui permet de lier les informations entre elles pour mieux les lire.

D’après Fontenelle, cette invention de La Hire eut tant de succès qu’on porta un lunarium à l’Empereur de Chine.

Un objet de prestige à quatre mains

Bien que Philippe de La Hire soit l’inventeur de ce lunarium, ce n’est pas lui qui l’a façonné. Si l’astronome en a eu l’idée et en a conçu le plan, il avait besoin d’un fabricant spécialisé pour inscrire son principe dans la matière. Nous devons la réalisation de notre objet à Henri Macquart (vers 1662 - après 1731), qui l’a signé et daté. Membre de la corporation des fondeurs et cité comme ingénieur du Roi en 1691, il a produit de nombreux instruments de mathématiques (cadrans solaires, instruments de dessin, compas de proportion, …), mais ceux qui sont datés, comme le nôtre, sont très rares.

L’objet a été réalisé en laiton, alliage de zinc et de cuivre, plébiscité pour les instruments scientifiques pour sa ressemblance avec l’or tout en étant moins onéreux et pour sa résistance à la corrosion. Il a dû le marteler afin de l’aplatir et l’affiner avant de le graver minutieusement d’après les instructions de La Hire. Ces gravures exceptionnellement fines et soignées sont l’une des caractéristiques majeures des instruments de Macquart.

Ce lunarium est d’ailleurs le seul connu entièrement réalisé en métal. Les deux exemplaires repérés sont en carton aquarellé (Cambridge University, Whipple Museum) et en carton, papier, bois et laiton (Chicago, Adler Planétarium).

Les sciences sous le règne de Louis XIV

Attirant des savants comme le hollandais Christiaan Huygens, spécialiste d’instruments d’optique ou le fameux astronome bolonais Jean-Dominique Cassini, Colbert entend faire de Paris un centre de recherche scientifique important, au service des intérêts du royaume. L’une de ses priorités est de faire cartographier les frontières du royaume pour mieux assurer leur défense. La cartographie permet aussi de mieux se repérer en mer et donc de circuler plus rapidement, une faculté essentielle pour le commerce et en temps de guerre. Cassini est aussi chargé par Colbert de cartographier la généralité de Paris, non pas pour mieux connaître sa géographie mais pour mieux imposer fiscalement les propriétaires.

Les savants trouvent eux aussi leur intérêt dans la création de l’Académie des Sciences. En effet, ses membres bénéficient d’une rémunération annuelle et peuvent, après autorisation, venir présenter une découverte devant le roi. Les plus savants peuvent aussi obtenir le droit de faire une démonstration devant la Cour, comme l’a fait La Hire pour son lunarium, consécration équivalente à l’obtention du prix Nobel aujourd’hui.