Pierre PATEL (Chauny, 1605 – Paris, 1676)


Paysage idéal avec monuments antiques, animé de personnages

Vers 1650
Huile sur toile
H. 68 ; L. 81 cm
Inv. 2023.22.1

 

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Notice détaillée


Œuvre éminemment poétique acquise par le musée du Grand Siècle en juin 2023 en vente publique, ce tableau de Pierre Patel l’Ancien fait écho à une période faste de la peinture parisienne du XVIIe siècle que Bernard Dorival, puis Jacques Thuillier ont appelé l’« atticisme parisien ». Réalisé vers 1650, il appartient au genre du paysage idéal, classique ou encore composé, fruit de multiples influences. Défini à Rome à l’aube du XVIIe siècle par les paysagistes bolonais, il est mis à l’honneur à Paris grâce à l’interprétation qu’en offrent, par l’intermédiaire des maîtres flamands et hollandais comme Jacques Fouquières ou Herman van Swanevelt, les peintres français d’Italie, Nicolas Poussin, Claude Gelée – certes lorrain –, et Gaspard Dughet.

 

Pierre Patel est un peintre relativement peu connu du grand public. S’il n’a jamais sombré dans l’oubli – toujours cité parmi les bons paysagistes français du XVIIe siècle –, il a longtemps été relégué à l’injuste rang de bon mais plat imitateur de Claude Gellée. La Lorraine étant alors terre d’Empire, Pierre-Jean Mariette avait, il est vrai, pu écrire au milieu du XVIIIe siècle : « Patel est le Claude Lorrain de la France », non sans vanter ensuite l’originalité, la « fraîcheur » et la « fermeté » de sa touche. Le XIXe siècle est un long purgatoire pour « le triste Patel » (Louis Gillet), « manière de Claude, moins l’émotion, moins le génie » (Charles Blanc). Il faut attendre 1934 pour que Charles Sterling, dans son catalogue sur les Peintres de la réalité, distingue l’art de Patel de celui du Lorrain, comparant ses paysages à ceux de Laurent de La Hyre. A sa suite Anthony Blunt, Jacques Thuillier et Natalie Coural ont achevé de réhabiliter Patel, artiste aujourd’hui reconnu. La composition de l’œuvre évoque bien l’art de Claude Lorrain, mais elle se distingue nettement des œuvres de ce dernier par la lumière claire, limpide, qui envahit la scène. Celle-ci est clairement structurée par les fortes verticales de l’architecture et des arbres, auxquelles répond la succession des plans, dont l’articulation est nettement marquée. Les contrastes entre zones sombres et zones claires, très sensible dans les premiers plans, s’atténuent ensuite pour laisser place à des lointains bleutés.

Fils d’un maçon, Pierre Patel naît en 1605 dans la petite ville de Chauny, à une trentaine de kilomètres de Laon où naissent à la même époque les frères Le Nain. On est peu renseigné sur sa formation, probablement réalisée en Picardie, puis à Paris. Ravagée par la guerre franco-espagnole de 1595-1598, la Picardie connaît alors plusieurs chantiers de reconstruction, comme à Blérancourt, non loin de Chauny, où Salomon de Brosse bâtit pour le baron de Gesvres (également seigneur de Sceaux, Bourg-la-Reine et Plessis-Picquet) un important château entre 1612 et 1619. Le jeune Patel, âgé d’une quinzaine d’années, s’est vraisemblablement rendu sur les lieux et cet ensemble d’un dessin très pur l’aurait marqué. A partir des années 1630, il évolue dans le milieu artistique de Saint-Germain-des-Prés, marqué par l’influence de Jacques Fouquières et Paul Bril.

Sa rencontre avec Simon Vouet est décisive. Rentré d’un long séjour à Rome (1614-1627), Vouet développe un style brillant et reçoit de nombreuses commandes qui contribuent à lancer la mode des grands décors peints pour les hôtels particuliers qui s’élèvent à Paris, en particulier sur l’île Saint-Louis. Dans l’atelier de Vouet, Patel contribue spécifiquement aux paysages de ces décors et prend goût aux couleurs claires et lumineuses de sa peinture. En 1644, la création du célèbre cabinet de l’Amour pour l’hôtel du président Lambert sous la direction d’Eustache Le Sueur, l’un des meilleurs élèves de Vouet, marque la consécration de Pierre Patel, aux côtés de Mauperché, François Perrier, Romanelli, Herman van Swanevelt ou encore Jan Asselijn. Il continue de collaborer avec Le Sueur pour ses paysages mais n’entre pas à l’Académie royale de peinture. En 1660, brillante marque de reconnaissance, Patel reçoit une commande royale et peint deux Paysages ovales pour le Cabinet sur l’eau de l’appartement d’été d’Anne d’Autriche au Louvre, décoré pour l’essentiel par Romanelli. Il devient en 1665 « peintre ordinaire pour les maisons royales » et exécute jusqu’en 1676, date de sa mort, une série de vues des résidences du roi. Une seule nous est parvenue : la célèbre Vue du château de Versailles en 1668 (fig. 1), grand tableau panoramique et seul paysage identifiable connu du peintre. 

La hiérarchie théorisée en 1668 par Félibien entre les peintres capables de peindre la figure humaine et ceux qui ne le sont pas, a pu conduire à considérer la peinture de paysage comme un genre mineur. Mais des études récentes, en particulier celles d’Alain Mérot, ont montré toute l’importance et tout l’intérêt de cette production, offrant à ses plus brillants représentants reconnaissance et succès.

L’art de Pierre Patel, au confluent de plusieurs courants, attire ainsi par un charme indéfinissable. Par sa lumière, ses perspectives, son intemporalité, notre tableau chante le « beau langage de la nature », partagé par l’ensemble du public cultivé, lecteurs des poètes, destinataires des peintures ou amateurs de jardin. Il nous transporte dans l’Arcadie qu’ont décrite les poètes de l’Antiquité et dont l’archétype a été fixé par Virgile dans ses Bucoliques, celle d’un monde pastoral idéal où pâtres et bergers, poètes et musiciens vivent harmonieusement au sein d’une nature bienveillante.

Caractéristique de la production de Pierre Patel vers 1650, époque de sa maturité, l’œuvre doit être de peu postérieure à son Paysage composé avec des ruines antiques aujourd’hui conservé au musée du Louvre, chef-d’œuvre peint vers 1645-1646 pour l’hôtel Lambert (fig. 2), avec lequel elle partage de nombreux traits ; il y était inséré dans un lambris à un rang subalterne, mais ces œuvres témoignent d’une attention nouvelle : « le temps était venu où des paysages, de la plus haute qualité, pourraient être accrochés dans les cabinets ou les galeries à l’égal des sujets d’histoire » (Alain Mérot).


Le tableau est de même proche du Paysage avec le repos pendant la fuite en Egypte daté de 1652 (Londres, National Gallery). Dans les années suivantes, à partir du milieu des années 1650, le peintre marque une évolution, en développant un goût pour des compositions plus riches, aux figures plus imposantes et jouant davantage des effets de contraste lumineux.

Ruines et nature font fort bon ménage dans la peinture du XVIIe siècle en général et chez Pierre Patel en particulier. Le Paysage idéal en témoigne par sa composition, dominée par un grand édifice antique en ruine, monument inventé que l’artiste a, suivant son habitude, disposé sur l’un des côtés du tableau. L’originalité de Patel est de n’être ni un poète érudit dans la tradition des Antiquités de Rome de Du Bellay – il était illettré –, ni un antiquaire savant, car tout porte à croire qu’il n’a jamais fait le voyage romain. « Tout est ruine d’anciennes Rome », écrit certes Aragon, mais celles de Patel sont toujours imaginaires. Dénuées de souci archéologique, les ruines de Patel cherchent à donner à la scène une « épaisseur temporelle » (Jean-Claude Boyer).

L’œuvre peut être heureusement mise en dialogue avec une autre œuvre des collections du musée du Grand Siècle : le Christ guérissant les aveugles de Jéricho de Henri Mauperché (donation Rosenberg, Inv. 2020.1.142), peint à la même époque (fig. 3). Mauperché, perméable à de multiples influences picturales, paraît avoir été particulièrement réceptif à la manière de son voisin rue de la Tixanderie, Pierre Patel.
 

Ce paysage, qui a pu être conçu dès l’origine comme un tableau de chevalet, mais aussi comme un élément d’un grand décor depuis démembré, a été préparé par un dessin conservé dans la collection Frits Lugt (fondation Custodia à Paris, fig. 4). Cette feuille diffère du tableau par quelques détails, notamment dans les figures, mais montre déjà l’essentiel de la composition. Celle-ci est animée par des figures pittoresques, occupées à des tâches agricoles ou ménagères. Au sol marécageux du premier plan répondent les mousses et les herbes qui recouvrent en partie les ruines antiques, accentuant ainsi le sentiment que procure le contraste entre la grandeur de ces monuments et leur état présent. Cette poétique est encore renforcée par l’atmosphère qui émane de la toile : calme, sereine et apaisée.

Pierre Patel intrigue les historiens d’art, comme Anton Bruckner, ce modeste et pieux organiste de génie a pu dérouter les musicologues : apparaît en effet une discordance entre ce que l’on sait de sa vie – un homme issu d’un milieu très simple, illettré, qui n’est jamais allé à Rome – et la haute qualité technique et poétique de son œuvre. Son Paysage idéal livre une vision personnelle, une reconstruction selon un modèle idéal. Patel n’a pas besoin de prétexte érudit : ses œuvres « existent, tout simplement, dans leur lumineuse et fragile évidence » (Alain Mérot).


Bibliographie

Natalie COURAL, Les Patel. Pierre Patel (1605-1676) et ses fils. Le paysage de ruines à Paris au XVIIe siècle, Paris, Arthena, 2001.
Natalie COURAL, « Pierre Patel, peintre de ruines (1605-1676) », Bulletin de la Société académique de Chauny, 1998, t. 43, p. 45-58.
Annick LEMOINE et Olivia SAVATIER-SJÖHOLM (dir.), Le Beau langage de la nature. L’art du paysage au temps de Mazarin, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2013.
Alain MÉROT, Du Paysage en peinture dans l’Occident moderne, Paris, Gallimard, 2009.