Pierre Simon Jaillot (1631-1681)
Crucifix
1664
Ivoire, bois plaqué d’ébène et de laiton
H. 41 cm x l. 28,5 cm
Inv. 2021.8.1
En 2021, le musée du Grand Siècle a acquis un crucifix en ivoire signé du sculpteur Pierre Simon Jaillot (1631-1681) et daté de 1664, témoin précieux de la ferveur religieuse du siècle. Restaurée en 2022, la statuette dévoile toute la finesse et le savoir-faire d’un artiste aujourd’hui peu connu et dont les œuvres conservées dans les collections françaises sont rares.
Un sculpteur renommé en son temps
Pierre Simon Jaillot est originaire d’Avignon-lès-Saint-Claude dans le Jura, ville réputée avec Dieppe pour ses ateliers d’ivoire au XVIIe siècle. Il s’y est formé comme sculpteur avec son frère Alexis-Hubert Jaillot (vers 1632-1712), qui se tourne vers l’art de la cartographie après leur arrivée à Paris. Leur art a été célébré par des quatrains de l’abbé Michel de Marolles dans un ouvrage non daté, Le Livre des peintres et graveurs :
« L'un et l'autre Jaillot, deux admirables frères,
Du lieu de Saint-Oyan dans la Franche-Comté,
Sur l'yvoire exprimant toute leur volonté,
L'animent par leur main sur des sujets contraires.
Par Simon on diroit que la matière endure ;
Hubert la fait plier de la mesme façon,
De quelle utilité profite leur leçon ?
Et qui peut mieux former une noble figure ? »
Cet éloge prouve la célébrité de Pierre Simon Jaillot qui se distingue de son vivant comme le seul ivoirier à être admis à l’Académie royale de peinture et de sculpture. Il y est reçu en 1661 avec un crucifix, mais se retrouve radié de la prestigieuse institution en 1673 pour insolence, notamment envers le puissant Charles Le Brun, directeur de l’Académie. Symbole de sa chute, son morceau de réception est envoyé à l’église de l’hospice des Petites-Maisons rue de Sèvres, qui accueille indigents, infirmes, teigneux et « insensés ». Malgré ses déboires qui l’emmènent jusqu’à la Bastille, il exécute un certain nombre de scènes religieuses en ivoire ou en buis selon son inventaire après décès, à l’instar du Saint Sébastien acquis par le musée du Louvre en 2014.
L’année de sa mort, en 1681, alors qu’il demeure chez son frère et a sans doute du mal à vivre de son art, il passe un marché avec le graveur Jean Hainzelmann pour faire réaliser une planche d’un de ses crucifix, d’après une peinture de Louis Licherie. La reprise et la diffusion de cette estampe après sa mort témoigne de la renommée qu’il a connu de son vivant malgré ses revers de fortune.
La sculpture sur ivoire dans la France du Grand Siècle
L’ivoire, venu d’Afrique, est un matériau coûteux à importer et difficile à travailler, ce qui renforce le caractère précieux des œuvres réalisées. Pierre Simon Jaillot se plaît à montrer son talent en creusant les plis du périzonium pour accrocher la lumière tout en restituant avec sensibilité la douceur du modelé du corps et la douleur de l’expression du Christ. La croix, sans doute d’origine et également réalisée dans des matières précieuses, contribue à magnifier la blancheur de la statuette dans un jeu de polychromie entre noirceur du bois d’ébène et éclat du laiton.
L’engouement pour les pièces en ivoire, malgré leur beauté, demeure limité en France au regard de leur succès auprès des cours germaniques et italiennes, où les princes les collectionnent avec ferveur. Les œuvres en ivoire sont rares dans les collections françaises au XVIIe siècle, notamment royales, à l’inverse des statuettes de bronze, acquises en nombre. Seul l’achat d’une partie du fond d’atelier du sculpteur Gérard van Opstal (1605-1668) au début du règne de Louis XIV fait entrer dans le patrimoine de la Couronne un ensemble de pièces dont certaines en ivoire, d’ailleurs inventoriées par Pierre Simon Jaillot. Preuve du peu d’intérêt qu’elles suscitent, elles sont conservées en réserve sans jamais être exposées jusqu’à la Révolution française.
Un thème iconographie répandu
La Crucifixion est une iconographie commune mais, malgré la répétition de son sujet de prédilection, Jaillot veille toujours à proposer des variations. Le groupe du Victoria and Albert Museum de Londres offre à voir une scène complète du Calvaire, avec les deux larrons, la Vierge, saint Jean et Marie-Madeleine. Cet exemplaire ambitieux et unique, daté de 1664, illustre la diversité des modèles proposés par Jaillot en fonction de ses commanditaires. Le musée du Louvre conserve également une statuette du Bon larron qu'on peut rapprocher de l’art de Jaillot. Cette figure isolée permet d’évoquer d’autres groupes en ivoire similaires aujourd’hui démantelé et perdu.
La volonté du sculpteur de transposer ses crucifix en gravure par Johann Hainzelman (1641-1693) en passant par une version intermédiaire peinte par Louis Licherie (1642-1687) rapproche encore davantage ses sculptures des productions picturales contemporaines. Dans ce domaine, la proximité avec les Christ en croix de Philippe de Champaigne (1602-1674) est marquante, à l’instar de la Crucifixion du musée du Louvre des années 1640, où l’expression du visage tourné vers le ciel est semblable au traitement de Jaillot.
La dévotion privée
Ce type d’œuvre de petit format et en matériaux coûteux évoque les intérieurs raffinés du siècle. Les crucifix sont assez communs dans les chambres à coucher, mais ils peuvent aussi signaler un lien de dévotion dans l’espace domestique. Du simple prie-Dieu à la chapelle privée, l’ostentation prévaut et les objets précieux peuvent servir de support à la foi et marquer le rang du propriétaire, à l’instar des ivoires mais également les garnitures d’autel, les parements brodés ou les tableaux religieux peints sur pierre dure comme le Jésus apparaissant ressuscité à sa mère de Jacques Stella (1596-1657) du musée du Louvre. Les statuettes d’ivoire, par leur caractère exceptionnel, sont des objets de collections, dignes des cabinets de curiosité, dans lesquels la contemplation dévotionnelle le dispute à la délectation esthétique. La Crucifixion de Jaillot du Victoria and Albert Museum, peut être le groupe signalé au XVIIIe siècle chez le curé de Saint-Germain-l’Auxerrois, était célébrée par les amateurs et curieux qui pouvaient l’y admirer, preuve supplémentaire de l’attrait suscitée par les sculptures de ce maître.