Louis XIV terrassant l’Hérésie


Regnauld MESNY (1662-1712)
Bois de Sainte-Lucie (merisier)
1687
Signé et daté en-dessous R. MESNY NANCEIANUS / FECIT 1687
La plinthe inscrite (R)ENDRE A TA FO(I) / (S)ON LUSTRE et VAINCRE (T)ES / ENNEMI(S)
Le piédestal inscrit HIC/LUST/TRATLOUIS LE GRAND / ROI DE FRANCE / ET DE NAVARRE / XIV DE CE NOM, et INC/VIN/CIT
H. : 24,5 cm
Inv. 2023.3.1

Notice interactive

 

Notice détaillée

À l’automne 2022, le Conseil départemental des Hauts-de-Seine a acquis une statuette représentant Louis XIV terrassant l’Hérésie, destinée à illustrer un moment dramatique de la vie politique et religieuse du Grand Siècle : la révocation de l’Edit de Nantes et la fin de la tolérance religieuse.

Louis XIV est représenté en empereur romain, doté des attributs d’Hercule, la massue dans sa main gauche et la dépouille du lion de Némée sur l’épaule droite.

L’assimilation du roi de France à la figure héroïque et pacificatrice d’Hercule est un ancien symbole gaulois, et se rencontre dès les règnes de Louis XIII et d’Henri IV. Comme dans le portrait peint vers 1600, Henri IV en Hercule terrassant l’Hydre de Lerne (Paris, musée du Louvre, attribué à la seconde école de Fontainebleau), le roi, triomphant et détendu, piétine une hydre décapitée ainsi qu’une figure humaine ayant perdu son masque, symbole de duplicité. Ces deux attributs sont habituellement utilisés pour représenter « l’hérésie » protestante, également appelée « la religion prétendument réformée (RPR) ». Le rouleau dans la main droite du roi représente donc très certainement l’édit de Fontainebleau, signé le 18 octobre 1685 : par ce texte, le roi révoquait l’édit de tolérance, signé à Nantes en 1598 par Henri IV, complété par celui de Nîmes pris par Louis XIII (1629). Ce contexte est confirmé par l’inscription portée sur la plinthe : (R)ENDRE A TA FO(I) / (S)ON LUSTRE et VAINCRE (T)ES / ENNEMI(S).

Cet acte met donc fin à près de quatre-vingt-dix ans de tolérance religieuse à l’égard du protestantisme, en révoquant l’édit de Nantes ; celui-ci avait pour objectif de pacifier le royaume, durement marqué par plusieurs années de guerres fratricides. Cependant, les pouvoirs accordés aux Protestants, notamment la gestion d’un certain nombre de places fortes, avaient rapidement été perçus par la Couronne comme des foyers de rébellion et de contestation de l’autorité royale, dont témoigne la célèbre prise de La Rochelle en 1628.

L’iconographie du roi triomphant s’est particulièrement multipliée sous le règne de Louis XIV, roi de guerre, vainqueur de nombreux conflits, jaloux de son autorité. Le Roi foulant aux pieds des ennemis représentés sous forme d’allégories (duplicité et monstre infernal polycéphale) se retrouve aussi bien en peinture qu’en sculpture. Ainsi, quelques années auparavant, Gilles Guérin avait représenté Louis XIV vainqueur de la Fronde, autre moment de rébellion contre l’autorité royale, dans la cour de l’Hôtel de Ville de Paris (Chantilly, musée Condé, inv. OA 4239) : le jeune souverain y écrase un soldat vaincu courbé à ses pieds. Ce type de représentation agressive se multiplie avec la révocation de l’Edit de Nantes : Martin Desjardins l’illustre ainsi en bronze place des Victoires en 1686 (statue détruite en 1792), où le roi en habit de sacre écrase l’hydre. Pour la statue du roi destinée à l’Hôtel de Ville en 1689, Antoine Coysevox réalise pour le piédestal un bas-relief tout aussi explicite, La Religion terrassant l’Hérésie (Paris, musée Carnavalet, inv. S29). Cette même année, Louis Lecomte réalise pour l’hôtel particulier de Charles du Bois Guérin une autre version de Louis XIV terrassant l’Hérésie, largement diffusée par la gravure de Vermeulen et la médaille frappée à la demande du commanditaire.

En révoquant l’édit de Nantes, sur les conseils du chancelier Michel Le Tellier (1603-1685), père du fameux ministre de la Guerre Louvois, Louis XIV rétablit l’unité de la foi dans son royaume, réalisant le serment fait au moment de son sacre. Il conclut ainsi une période de restriction progressive des libertés précédemment accordées aux huguenots, amorcée en 1661. Cette décision, largement acclamée par l’Eglise catholique, a également été critiquée en raison des persécutions, conversions forcées, destructions de temple et enfin les nombreux exils qu’elle provoqua, amenant une diaspora protestante française dans les Pays-Bas, dans le Brandebourg prussien et jusqu’en Suède. La France rejoignait ainsi le camp des états ne reconnaissant qu’une seule et unique religion, en l’occurrence catholique, comme on le voyait au même moment, en Espagne ou dans les différents états italiens.

Cette statuette témoigne donc d’un moment important de l’histoire religieuse du XVIIe siècle, auquel s’ajoute le contexte particulier de son lieu de production, la Lorraine, un territoire alors occupé par le France. En effet, à partir de 1625, dans le cadre de la guerre de Trente Ans et en raison de luttes de pouvoir entre les prétendants au duché de Lorraine, terre d’Empire, les relations entre la France et cet État se dégradent. À trois reprises, entre les années 1620 et les années 1690, la France occupe ainsi la Lorraine, les ducs étant contraints à de longues années d’exil. 

De grande qualité, cette petite sculpture permet ainsi également d’évoquer au sein du musée du Grand Siècle la production lorraine, important foyer de création au XVIIe siècle et le milieu de ses sculpteurs, dont certains ont fait des séjours à Paris. En outre, cette représentation du Roi, inédite, est exceptionnelle, la production de petites sculptures en bois de Sainte-Lucie étant essentiellement religieuse.

Le bois dit de Sainte-Lucie est une essence de la famille du prunus (prunusmahaleb), proche du merisier, qui pousse notamment dans une forêt de Lorraine (Meuse actuelle) près de Sampiny et d’un ancien sanctuaire, aujourd’hui détruit, qui était consacré à cette sainte. En raison de cette provenance, les premiers objets réalisés dans ce bois sont des objets religieux, grains de chapelets, statuettes de saints et petits crucifix.

La plus ancienne attestation d’une sculpture en bois de Sainte-Lucie date de 1661, lorsque le sculpteur Charles Chassel (actif entre 1640 et 1680) livre à la municipalité de Nancy un crucifix dans un cadre, offert au prince de Lillebonne, époux de la fille du duc Charles IV de Lorraine. 

L’utilisation de ce bois dans le domaine de la petite sculpture et des arts décoratifs s’est beaucoup développée dans la lorraine du XVIIe siècle occupée par le France, en raison, notamment, des lois somptuaires imposées par le pouvoir royal, qui limitaient l’utilisation des métaux précieux.

Ce bois très dense, d’un brun tirant sur le rouge, sans fils, se prête aux décors ciselés d’une grande finesse qui rappellent l’orfèvrerie. Les objets présentent souvent des motifs de rinceaux, des grotesques et des éléments d’héraldiques. La production en bois de Sainte-Lucie connaît un succès qui dépasse largement les limites de la région, comme en témoignent les boîtes et coffrets qui présentent des armoiries de familles parisiennes. Le musée du domaine départemental de Sceaux possède par exemple une très belle écritoire aux armes de la duchesse de Maine.

 

Les archives, notamment celles de la ville de Nancy, attestent de l’existence de plusieurs dynasties de sculpteurs travaillant ce bois, dont les Foullon, qui auraient travaillé à plusieurs reprises pour le Grand Dauphin, fils de Louis XIV.

La sculpture est signée et datée sous le socle :  R. MESNY NANCEIANUS / FECIT 1687.

Sculpteur lorrain actif à Nancy à partir des années 1680, Regnauld Mesny est connu par les archives, mais peu d’œuvres de sa main sont identifiées et conservées. On sait que son frère aîné, Barthélémy I Mesny (vers 1650-1724) sculptait également le bois de Sainte-Lucie. 

Regnault Mesny a notamment travaillé sur les chantiers du duc de Lorraine à partir de 1700. Sous la direction de Pierre Bourdict (vers 1664-après 1712), premier sculpteur et architecte du duc Léopold de Lorraine de 1700 à 1703, il participe à la modernisation des appartements ducaux du vieux palais de Nancy et à la décoration du catafalque du duc Charles V dans l’église des Cordeliers de Nancy.

Il travaille également, en collaboration avec le parisien Jean Vallier, sur le chantier du pavillon de la Ménagerie au château de la Malgrange, puis au château de Lunéville pour les parterres duquel il sculpte deux sphinx avec Jacques Joseph Bordenave (1648-1721).

En 1708, il participe aux décors de l’opéra de Nancy avec Bordenave et Rémy-François Chassel (vers 1665 - 1752). Il figure parmi les membres fondateurs de l’Académie de peinture et de sculpture de Nancy en 1702, avec le titre de « sculpteur de l’Hôtel », et y occupe un poste de professeur.

L’œuvre du musée du Grand siècle, datée de 1687, documente ainsi l’activité d’un jeune artiste prometteur, antérieure aux données qui nous étaient jusqu’alors parvenues sur lui, et soucieux d’affirmer son talent, les œuvres signées de cette époque de leurs auteurs étant extrêmement rares. La statuette est présentée dans la salle consacrée à la Foi au Petit Château de Sceaux.