Sébastien LEBLOND (actif entre 1675 et 1731)

Chocolatière
1698-1699
Argent, manche en bois
H. 23 cm
Inv. 2023.14.1
 

En 2023, le musée du Grand Siècle a acquis en vente publique, grâce à l’exercice du droit de préemption de l’État, une rare chocolatière en argent portant le poinçon de l’orfèvre parisien Sébastien Leblond et datable des 1698-1699. Appartenant à une nouvelle typologie d’objet apparue dans le courant du siècle, elle témoigne de la vogue de ces nouvelles boissons exotiques aujourd’hui si familières.

La mode des boissons exotiques

Le XVIIe siècle connaît un accroissement des échanges commerciaux internationaux et les nouveaux produits qui arrivent sur les marchés européens connaissent une vogue qui influence les habitudes de consommation, notamment dans les élites.
Venus de loin, importés à grands frais, thé, café et chocolat apparaissent successivement dans la vie de la haute société française.  

C’est d’abord le chocolat qui arrive en France, via l’Espagne, à la faveur du mariage de Louis XIII avec Anne d’Autriche en 1615. Les Espagnols consomment ce breuvage depuis qu’il a été rapporté d’Amérique au XVIe siècle. D’abord limitée à l’entourage immédiat de la reine, sa consommation se répand à la cour dans les années 1640. On sait par exemple que le cardinal de Richelieu en était également friand, tout comme la reine Marie-Thérèse, épouse de Louis XIV, elle aussi infante d’Espagne.
À cette époque, et jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, le chocolat est consommé uniquement sous forme de boisson, servi en fin de repas ou en collation.
 

Le thé arrive dans les années 1640, via la compagnie des Indes Hollandaises qui commerce avec la Chine et le Japon. Dès son arrivée en Europe, on le consomme avec beaucoup de sucre. Les ambassades du Siam en 1684 et 1686 jouent sans doute un rôle dans la vogue de cette boisson.

Le café arrive quant à lui d’Afrique du Nord, par Venise. Il est introduit en France d’abord à Marseille en 1644, puis se diffuse à Paris dans les années 1660. En 1669, une ambassade du représentant du Sultan ottoman contribue sans doute au succès de cette boisson, comme pour le thé.

À partir des années 1670, ce trio de boissons exotiques fait l’objet d’une abondante littérature et de débats passionnés entre amateurs et détracteurs.
Pour ce qui concerne le chocolat, la correspondance de Madame de Sévigné témoigne du rapport ambigu à cette boisson. Dans une lettre à sa fille du 11 février 1671, elle écrit : « vous ne vous portez point bien, vous n’avez point dormi : le chocolat vous remettra ». Entre avril et octobre de la même année, elle lui écrit cependant à plusieurs reprises qu’elle en a entendu dire du mal et a changé d’avis, tandis qu’en février 1672, elle lui recommande à nouveau de « prendre du chocolat, afin que les plus méchantes compagnies vous paroissent bonnes. »

Plusieurs ouvrages sont publiés au sujet de ces boissons exotiques, qui suscitent la curiosité et sur les propriétés desquelles on s’interroge. Philippe Sylvestre Dufour, apothicaire, banquier et collectionneur de Lyon, publie en 1671 un ouvrage intitulé De l'usage du caphé, du thé et du chocolate, qui traite des vertus curatives de ces boissons. La partie sur le chocolat est une traduction de l’espagnol par le médecin parisien René Moreau (1587-1656) d’une relation d’Antoine Colmenero de Ledesma, médecin et chirurgien andalous.

Nicolas de Blégny, chirurgien de la reine en 1678, puis médecin du roi en 1682, publie quant à lui en 1687 Le bon usage du thé, du caffé et du chocolat pour la preservation & pour la guerison des maladies. Dans sa partie consacrée au chocolat, il critique ses prédécesseurs en soulignant que pour rendre le chocolat plus digeste, il suffit d’en retirer l’importante quantité de graisse qu’il contient. Il est alors considéré comme un fortifiant, mais dangereux pour ceux qui ont l’estomac fragile. On voit que la consommation de ces boissons relève en grande partie du domaine médicinal, les amateurs mettant en avant leurs vertus stimulantes.

Nicolas de Blégny donne la recette la plus fréquemment utilisée de son temps, dans laquelle le chocolat est accompagné de sucre, de cannelle, de vanille (qui était déjà associée au chocolat par les Aztèques et que les Espagnoles découvrent en même temps que celui-ci), de poivre rouge d’Inde (c’est-à-dire de piment), de girofle, de musc et d’ambre. Le mélange est assemblé sous forme d’une pâte, que l’on presse dans des moules. Ensuite, on le râpe dans de l’eau ou du lait chaud, dans une chocolatière, et on le mélange avec un moussoir. On le boit en général accompagné d’un verre d’eau, car le mélange est très épais.  

De nouveaux objets pour de nouveaux usages

Si la production d’orfèvrerie parisienne est particulièrement importante au XVIIe siècle, elle nous est aujourd’hui essentiellement connue par les inventaires, la plupart des pièces ayant disparues, fondues en raison des guerres, ou simplement de l’évolution du goût. Très peu de théières, cafetières ou chocolatières de fabrication française antérieures au XVIIIe siècle sont ainsi parvenues jusqu’à nous.
Si les archives du garde-meuble royal nous indiquent que des pots à thé ont été livrés en 1683, ou des petites « marmittes » qui servaient à la fois à la préparation du thé et des bouillons, les gravures de l’ouvrage de Nicolas de Blégny peuvent aussi laisser entendre, vues les formes reproduites, que l’on utilisait essentiellement des pièces de porcelaine chinoise, alors très prisées.

En revanche, la consommation du chocolat étant différente en Europe de ce qu’elle était aux Amériques, les objets utilisés pour sa préparation ont dû être adaptés. L’ouvrage de Blégny indique ainsi que pour le chocolat, on utilise un ustensile semblable aux cafetières, avec pour seule différence la présence d’un trou au milieu du couvercle, pour passer le manche du moulinet, ou moussoir, comme c’est le cas pour notre chocolatière. L’auteur souligne cependant que cet aménagement n’est pas indispensable, car il n’est pas nécessaire de maintenir l’objet fermé pour utiliser le moussoir.  

Les cafetières et chocolatières du XVIIe sont des pièces extrêmement rares. Celle récemment acquise par le musée du Grand Siècle porte le poinçon de l’orfèvre parisien Sébastien Leblond et peut être précisément datée de 1698-1699. Elle a été réalisée après les dernières fontes de métaux précieux ordonnées par le roi en 1688 et 1689 pour financer la guerre de la Ligue d’Augsbourg (1688-1697). Reçu maître en 1675 à la mort de son père Edme Leblond, Sébastien Leblond s’est fait une spécialité de ce type d’objet, relativement standardisé et dont la production va se développer pendant tout le XVIIIe siècle.

Il semble que ce soit le café qui ait rencontré le plus de succès auprès des Parisiens et se soit diffusé le plus vite dans auprès d’un public plus large, et on note l’ouverture de plusieurs lieux dans Paris consacrés à sa dégustation, notamment le célèbre Procope, ouvert dès 1686 et toujours situé aujourd’hui au même endroit, rue l’Ancienne-Comédie, anciennement rue des Fossés-Saint-Germain.