Tyra Lundgren (1897-1979) pour Venini & C

Petit oiseau

1937
Verre irisé bleu
10,4 × 14,8 × 8,6 cm
Inv. 2021.1.246.2

Notice détaillée


La donation de Pierre Rosenberg consentie au Département des Hauts-de-Seine en 2020 comporte un ensemble exceptionnel de 680 animaux en verre de Murano du XXe siècle. Le Petit oiseau dessiné par Tyra Lundgren pour la verrerie de Paolo Venini témoigne de la première collaboration entre une entreprise de Murano et une artiste femme de renommée internationale.

Avocat milanais, Paolo Venini (1895-1959) commence à s’intéresser au verre après sa rencontre avec le vénitien Giacomo Cappellin (1887-1968), antiquaire à Milan. Ensemble, ils créent en 1921 une première entreprise sur l’île de Murano, la Vetri Soffiati Muranesi Cappellin Venini & C, avec comme directeur artistique le peintre Vittorio Zecchin (1878-1947). Après la dissolution de cette verrerie en 1925, Venini fonde la Vetri Soffiati Muranesi Venini & C., toujours en activité et qui, tout au long du XXe siècle, s’est distinguée par des collaborations avec les plus grands designers italiens, comme Gio Ponti, Carlo Scarpa et Ettore Sottsass, mais aussi internationaux, parmi lesquels Tapio Wirkkala, ou plus récemment Tadao Ando.

Considéré dès ses débuts comme un acteur majeur du renouveau du verre vénitien, Venini recrute immédiatement comme directeur artistique le sculpteur Napoleone Martinuzzi (1892-1977). Fils de maître verrier, celui-ci est alors une figure reconnue de la scène artistique italienne, également responsable du musée du verre de Murano depuis 1922, fonction qu’il occupe jusqu’en 1931. La collaboration ne dure que jusqu’en 1932, date à laquelle Martinuzzi et l’ingénieur Francesco Zecchin (1894-1986) font sécession, mais elle est particulièrement fructueuse et contribue au grand succès remporté par l’entreprise à partir de la seconde moitié des années 1920.

Après le départ de Martinuzzi, le jeune architecte Carlo Scarpa (1906-1978) devient directeur artistique en 1933, mais Venini fait également appel à son ami milanais Tomaso Buzzi (1900-1981). Il prend ainsi l’habitude, pour des projets ponctuels, de recourir à des artistes extérieurs de grande renommée, au premier rang desquels on compte Tyra Lundgren, céramiste et designeuse suédoise, première femme à collaborer avec une verrerie de Murano en même temps que première artiste non italienne.

Née à Stockholm dans une famille bourgeoise, Tyra Lundgren poursuit des études artistiques, notamment à l’Académie royale suédoise des Beaux-Arts. Elle voyage également en Europe et suit l’enseignement d’Anton Hanak (1875-1934) à Vienne et d’André Lhote (1885-1962) à Paris. Pratiquant la peinture, elle est cependant surtout connue pour son travail dans le domaine céramique, à la fois comme designeuse et comme praticienne.

Dans les années 1920, elle collabore avec plusieurs manufactures suédoises et se rend régulièrement en Italie, où elle fréquente les cercles artistiques de Rome et Milan. Elle acquiert une renommée internationale et expose ses céramiques à la Triennale de Milan de 1933 puis à celle de 1936 et, en 1934, participe à la Biennale de Venise avec des verres conçus pour la société finlandaise Riihimäki.

Entre 1934 et 1939, elle dessine également des formes pour la Manufacture nationale de Sèvres. L’oiseau et le poisson caractérisent déjà son œuvre et la presse française vente unanimement son travail, mêlant force, élégance et modernité. Ainsi, dans un article publié en décembre 1936 dans la revue Mobilier et Décoration, le critique d’art Louis Vauxcelles loue le raffinement des émaux qu’elle utilise pour ses sculptures en gré1.

1. Voir Mobilier et Décoration : revue mensuelle des arts décoratifs appliqués et de l’architecture moderne, décembre 1936, p. 274-279


Entre 1935 et 1937, Gio Ponti, architecte, designer et fondateur de la revue Domus, encense dans de nombreux articles le travail de "la céramiste la plus intéressante au monde aujourd’hui2". Il la cite à plusieurs reprises comme un modèle pour les céramistes italiens et souhaite vivement sa présence en Italie. Elle-même écrit des articles dans des revues suédoises sur les productions de Venini et correspond avec lui avant de faire sa connaissance.

2Domus, n° 114, juin 1937, p. 21.

C’est lors de sa participation à la Triennale de Milan de 1936 que Tyra Lundgren rencontre Paolo Venini, qui l’invite à travailler avec lui et avec ses meilleurs maîtres verriers. Cette nouvelle collaboration marque une étape importante dans l’histoire du verre moderne de Murano car Tyra Lundgren est à la fois la première femme artiste à pénétrer le monde très masculin des verreries, et la première personne non italienne à collaborer avec une entreprise de l’île.

Pour Venini, elle décline son répertoire familier d’oiseaux et de poissons, auxquels elle ajoute les séries de coupes en forme de feuilles, issues des expérimentations techniques qu’elle mène avec les verriers.

Les premières productions sont exposées à la Biennale de Venise de 1938. Elle transpose son bestiaire de prédilection, adapté au matériau verre et aux techniques propres à Venini, dans plus de soixante-dix variantes de colombes, petits oiseaux, pigeons et poissons variés, réalisés en verre massif corrodé ou irisé. Le renom de Lundgren et l’amitié qui la lie à Venini sont suffisamment forts pour qu’elle soit la seule artiste dont le nom est mis en avant lors des expositions, alors que généralement les noms des designers n’apparaissent pas derrière le nom de la manufacture Venini3.

Interrompue en 1939 en raison de la seconde guerre mondiale, la collaboration reprendra dans les années 1948-1950 avec la création d’une série de vases.

Les pièces de Lundgren créées pour Venini lui ouvrent par ailleurs les portes du grand magasin de Stockholm Nordiska Kompaniet, et contribuent ainsi à la diffusion de sa production dans l’espace scandinave.
 

3. Cat. exp., Venini e la sua fornace, p. 26-27 et p. 71-72.