Pierre-Denis Martin (1619-1690)
Vue du Château de Pontchartrain et de ses jardins (perspective Ouest),
Huile sur toile, 144,5cm x 205,5cm, vers 1700
Notice interactive
Vue du château de Pontchartrain et de ses jardins (perspective Est),
Huile sur toile, 144,5 x 203cm, vers 1700
Notice détaillée
Ces deux vues du château de Pontchartrain (Yvelines) ont été peintes pour le chancelier Louis II Phélypeaux de Pontchartain, au début du XVIIIe siècle. Conservées au château du même nom jusqu’à leur mise en vente, en novembre 2019, elles sont dues à Pierre-Denis Martin, artiste spécialisé dans les vues de paysages et la peinture topographique, dont l’œuvre est surtout représentée dans les collections du musée de Versailles.
Ces grandes toiles forment le « portraict » d’un important domaine ministériel de l’Ile-de-France, agrémenté de son magnifique jardin à la française, dessiné par André Le Nôtre. Témoignages de la vie d’une résidence de grands serviteurs de la monarchie, mais aussi emblématiques de l’histoire des jardins, ces deux vues témoignent de l’adresse du rendu topographique de l’artiste, tout en présentant des petites scènes de genre dans une vaste propriété du Grand Siècle.
Un grand domaine historique
Les deux vues cavalières, l’une orientée vers l’ouest, l’autre vers l’est, du château de Pontchartrain constituent une paire majeure d’un point de vue artistique et historique. Le château y occupe le centre de la composition, à partir duquel s’étend un vaste domaine.
Création du Grand Siècle, ce domaine s’inscrit dans l’histoire ancienne, puisque la terre de Pontchartrain est occupée de longue date : on y trouve d’abord une maison forte devenue château à pont-levis entouré de fossés, édifiée au XIVe siècle. Cette forteresse a été acquise en 1598, par Antoine de Buade-Frontenac, conseiller d’État, premier maître d’hôtel du roi, capitaine et gouverneur des châteaux de Saint-Germain-en-Laye, Saint-James et la Muette et surtout membre du cercle restreint des compagnons de Henri IV. Vers 1600, ce dernier aménage une galerie d’apparat reliant deux ailes. Le 9 mars 1609, Frontenac vend le château à Paul Phélypeaux de Pontchartrain (1569-1621), secrétaire des commandements de Marie de Médicis puis secrétaire d’État l’année suivante. Le fils de ce dernier, Louis Ier Phélypeaux de Pontchartrain (1613-1685), magistrat également, engage la transformation du château lequel, d’après une description de 1662, présente des aménagements nouveaux : ensemble de six pavillons couverts d’ardoises, galerie supplémentaire, « grand cour pavée », « grand jardin », deux canaux, « spacieuse avant cour » et cour des écuries. Louis II Phélypeaux de Pontchartrain (1643-1727), fils du précédent, devient contrôleur des Finances en 1689, puis chancelier en 1699, dit le « chancelier de Pontchartrain ». Il fait travailler le frère François Romain (1647-1735), dès 1689, en vue de moderniser le vieux château et concevoir un ambitieux projet d’ensemble : rénovations diverses, irrigations, routes, arpentage, achats de briques, lardoises et pierres... Probable auteur du pavillon à dôme central, élevé en 1703, François Romain construit aussi ou restaure une série de bâtiments du village voisin (église, presbytère, hôpital, halle). Louis II s’adresse aussi au fameux André Le Nôtre, contrôleur général des bâtiments et jardins du roi. Le Nôtre crée pour Louis II, entre 1693 et 1695, un superbe parc doté d’une perspective de treize kilomètres, plus étendue que celle de Versailles d’un kilomètre. Au mois d’août 1691, Louis II obtient que la terre de Pontchartrain soit érigée en comté, y adjoignant la baronnie de Maurepas, un village voisin. L’acquisition de plusieurs seigneuries, soit une superficie totale de 7974 ha, parachève ainsi l’agrandissement du domaine des Pontchartrain. De 1693 à 1695, Le Nôtre s’y rend à plusieurs reprises et fait venir des voitures chargées d’arbres des pépinières du roi, notamment des épicéas. A la perspective de treize kilomètres, Le Nôtre ajoute la création de jardins présentant une pièce d’eau centrale en forme de T, ou rectangulaire à un côté chantourné. Jérôme Phélypeaux de Pontchartrain (1674-1747), fils de Louis II, sera secrétaire d’État à la Marine de Louis XV. D’abord exilé par le Régent à Pontchartrain, il fait transformer le corps de logis du château en 1738. Après la mort de Jean-Frédéric Phélypeaux comte de Maurepas, sans descendance, en 1781, Pontchartrain passe à sa nièce Adélaïde-Diane Mancini-Mazarin duchesse de Cossé-Brissac (1742-1808), puis sort de la famille en 1801. Le château, un temps propriété de la Païva, a été modifié au XIXe siècle ; il est classé au titre des monuments historiques avec son parc clos de murs de 90 hectares par arrêté du 14 décembre 1979.
Deux amples vues cavalières et topographiques
Chacune des toiles présente une maîtrise des règles topographiques. La composition est centrée de manière verticale et horizontale, avec une différence cependant : le corps principal du château occupe le centre de la vue orientée vers l’ouest, alors que c’est le grand bassin en forme de T, qui tient cette place centrale dans la vue orientée vers l’est. L’harmonie du dessin d’ensemble valorise la symétrie dominant dans les plans du château et dans l’ordonnancement des espaces environnants. Une puissante perspective sur l’axe est-ouest déploie des allées perpendiculaires, parallèles ou obliques. Les bâtiments du corps de logis en forme de « U » ainsi que les petites ailes latérales font apparaître des panneaux de briques sertis dans un appareil de pierres blanches, suggérant des analogies avec le château royal de Saint-Germain. Le Nôtre a souhaité magnifier le château en allongeant les effets de perspective et en exploitant les jeux d’optique. Le caractère éminemment topographique des deux œuvres rend compte de la maîtrise de Martin qui s’emploie à restituer précisément le projet du jardinier. Témoignant d’une méticulosité micrographique, il retranscrit chaque cabinet de verdure, chaque bande de gazon, chaque allée et chaque espace arboré, tout cela étant parcouru d’une variation des ombres et de la lumière du soleil, animant ainsi d’une manière habile ces grandes vues cavalières. Martin relaie d’ailleurs Le Nôtre dans la restitution des lointains qui se noient dans le ciel, par le procédé de la perspective atmosphérique. A cette nature domestiquée et ordonnancée autour d’une grande demeure, le peintre a ajouté une foule de figures et d’animaux miniaturisés qui peuplent la vue. En contrepoint de l’idéalisation manifeste de la mise en image du domaine des Pontchartrain, l’artiste multiplie les détails naturalistes et réalistes : murs marqués par l’humidité, cabanon délabré attenant aux bâtiments des communs, pelouses endommagées ou irrégulières… Pierre-Denis Martin reprend la formule du groupe de figures équestres au premier plan, dans la vue axée vers l’ouest, de son maître Adam Frans Van der Meulen (1632-1690). Des auteurs suggèrent que les deux cavaliers principaux, au centre, pourraient être Louis II Phélypeaux de Pontchartrain, commanditaire des jardins, accompagné de Le Nôtre lui-même. Il est par ailleurs possible que ces figures équestres aient été réalisées par un collaborateur de Pierre-Denis Martin, comme c’était souvent le cas en atelier, pour les grandes commandes.
Pierre-Denis Martin et les vues topographiques
La peinture topographique et architecturale se développe dans la France du Grand Siècle, dont elle constitue une des sources. Le modèle de référence de ce type de vues est sans doute la galerie des Cerfs à Fontainebleau, décorée par Louis Poisson, au début du XVIIe siècle. Cette galerie représente des vues cavalières des principaux domaines de la Couronne, toujours visible mais très restaurée au XIXe siècle. Les grandes vues des propriétés du cardinal de Richelieu, visibles dans l’antichambre du Palais-Cardinal à Paris en 1642, appartenaient aussi à ce genre, qui s’épanouit particulièrement sous Louis XIV, tant en peinture qu’en gravure, avec la figure centrale d’Israël Silvestre. On peut ainsi mentionner la célèbre Vue du château et des jardins de Versailles qui fait partie d’une commande plus large de plusieurs vues des résidences royales formulée par Louis XIV auprès de Pierre Patel (1668). Adam Frans Van der Meulen, maître de Pierre-Denis Martin, représente par ailleurs les résidences royales, dès 1668, dans la tenture des Mois ou des Maisons Royales.
Pierre-Denis Martin reste moins connu que Jean-Baptiste Martin (1659-1713), dit « Martin l’Aîné », « Martin des Gobelins » ou « Martin des Batailles », dans l’atelier duquel il entre en 1694. Dezallier d’Argenville fait d’eux des cousins, quand d’autres les pensent frères. Ce lien de parenté non attesté, déjà mis en doute par l’historien Jal en 1872, traduit en fait un lien de collaboration étroite. Pierre-Denis participe à la réalisation des toiles du château de Marly et au cycle des conquêtes du Roi commandé par Louvois pour la galerie de Meudon. « Peintre ordinaire et pensionnaire du roy et de sa majesté », Pierre-Denis, dans le sillage de son maître Van der Meulen et de Jean-Baptiste Martin, peint essentiellement des chasses, des batailles et des vues de résidences royales ou privées. Le musée Carnavalet conserve ainsi de lui La Visite de Louis XIV aux Invalides en 1706 et le Victoria and Albert Museum de Londres une rare vue des jardins de Juvisy ; on peut également admirer au musée du domaine départemental de Sceaux une Vue du château de Conflans.
Bibliographie
- Brouzet David, « Jean-Baptiste et Pierre-Denis Martin, peintres des Maisons royales », L’Estampille L’Objet d’Art, n° 328, octobre 1998, p. 65-82.
- Frostin Charles, Les Pontchartrain, ministres de Louis XIV, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2006.
- Hazlehurst Franklin Hamilton, Des jardins d’illusions : Le génie d'André Le Nostre, Paris, 2005.
- Sotheby’s, Tableaux dessins sculptures 1300-1900, incluant la collection du château de Pontchartrain, vente à Paris, 19 novembre 2019.