Apollon et Daphné

Vers 1631-1632
Huile sur toile 
145 x 88 cm

Cette rare toile de Jacques Blanchard a fait partie d’un important décor d’un hôtel particulier parisien, réalisé au début des années 1630, au moment où les élites cherchent à mettre en valeur leurs intérieurs par des ensembles où la peinture joue un grand rôle. Cette représentation d’un sujet mythologique tiré des Métamorphoses d’Ovide appartient à une suite « pour que le regard ne soit pas distrait de l’admirable geste où vient se résumer l’accord amoureux » écrit l’historien de l’art Jacques Thuillier. Le dieu Apollon croit saisir la nymphe Daphné, quand celle-ci appelle à l’aide son père, le dieu-fleuve Pénée, qui la métamorphose en laurier.

Notice interactive

Notice détaillée

Le témoin retrouvé d’un important décor parisien détruit

Notre tableau provient du décor de la galerie de l’hôtel de Louis Le Barbier (? - 1641), rive gauche, mentionné par André Félibien, en 1685 : « (Blanchard) peignit pour le sieur Barbier une petite galerie dans la maison qui appartient aujourd’hui au Président Perrault ». Louis Le Barbier, conseiller secrétaire et maître d’hôtel ordinaire du roi, est l’un des hommes d’affaires les plus actifs de Paris. Il parvient à amasser une fortune considérable, constituée grâce aux fermes, aux spéculations immobilières de la rive gauche et aux travaux du Pont Rouge (act. Pont-Royal). Il souhaite faire construire un bel hôtel proche de ses affaires, quai Malaquais, à partir de 1622, et s’y installe à partir de 1629 ; il agrandit l’hôtel d’une aile en 1631. L’ensemble, entièrement disparu, correspond aux actuels 3-5, quai Voltaire. 

La galerie, « lieu de passage où l’on s’arrête » (André Chastel) est alors une pièce à la mode, et qui magnifie aussi bien les appartements des châteaux que des hôtels parisiens. Une description du XVIIIe siècle rend compte de la configuration de la galerie de l’hôtel Le Barbier : un espace de petites dimensions, sans voûte, un plafond à solives décorées, et des murs ornés de quatorze peintures mythologiques. Au centre du plafond, un rond offrait la vue de Diane sur son char et huit cartouches contenant chacun un enfant. Les murs de la galerie présentaient ainsi huit tableaux presque carrés et six autres tableaux en hauteur, dont Apollon et Daphné. La galerie illustre les amours des dieux. Les thèmes de l’antiquité latine tels Vénus et Adonis cohabitent avec les figures d’un imaginaire plus moderne comme Renaud et Armide et Angélique et Médor.

Cette composition resserrée et verticale suggère en effet une insertion dans le lambris. L’artiste livre sa version peinte de l’Apollon et Daphné (1622-1625) du Bernin à Rome, même s’il existe de grandes différences : Apollon, qui tient un arc dans sa main droite, n’étreint pas Daphné. L’érotisme assez manifeste dans la manière d’exposer le corps de Daphné renforce la tonalité sensuelle qui devait empreindre l’ensemble du dispositif pictural dédié aux jeunes couples amoureux mythologiques. Félibien confirme que Blanchard « se plaisait beaucoup à peindre les femmes nuës ». Si les années 1630 consacrent un vif renouveau religieux, et même mystique, elles voient aussi se manifester les passions épicuriennes. Blanchard accompagne ce mouvement et fait partager sa maîtrise de la retranscription de la délicatesse des carnations. Dans cette toile, pas de massive draperie rouge ou outremer. Les teintes chaudes, ocre et rose violine, tributaires du séjour turinois et vénitien, s’enchevêtrent dans cette course sensuelle sur un fond sombre de végétation assez sommairement brossé, comme souvent chez Blanchard. Hymne à l’amour d’une jeunesse fougueuse et emportée par ses passions, la toile correspond à un programme iconographique et narratif qui privilégie un duo mythologique non séparé, alors que c’est le cas pour Diane et Endymion où les figures sont juxtaposées et distantes l’une vis-à-vis de l’autre. Jusqu’ici, seules deux compositions de ce décor ont pu être retrouvées. La première, grâce à une gravure de Daret, Thétis dans la forge de Vulcain. Concernant la deuxième, Jacques Thuillier a retrouvé Diane et Endymion, entré dans une collection française il y a plus de vingt ans. Cette œuvre est de dimension sensiblement identique à celle d’Apollon et Daphné.

Ayant été restauré par la restauratrice Stéphanie Martin en 2021, notre tableau a pu retrouver sa taille d’origine et les nuances subtiles de ses coloris.

Une œuvre décorative du plus vénitien des peintres français

La réalisation du décor de la galerie Le Barbier signale le début de la carrière parisienne de Blanchard. Félibien place ce chantier avant la galerie de Bullion, peinte à la fin de l’année de 1634, et il la mentionne rapidement après le Saint Jean à Patmos et l’Assomption de Cognac, datée de 1629. Les sources attestent aussi des relations constantes entre Blanchard et Le Barbier depuis au moins le milieu de l’année 1632. L’hôtel Bullion sera commencé après, en octobre 1634. Blanchard a pu ainsi peindre les toiles dévolues à cette galerie en 1631 et 1632.

Fils de Gabriel Blanchard, député pour les affaires de la ville à Paris et de la fille du peintre Jérôme Baullery (1532-1598), Jacques Blanchard est mis en apprentissage chez son oncle, peintre également, Nicolas Baullery (1560-1630), en 1613. Il s’installe à Lyon et travaille auprès d’Horace Le Blanc (1575-1637) de 1620 à 1623. Ce dernier joue un rôle prépondérant dans l’orientation de Blanchard, qui part pour Rome, en octobre 1624, en compagnie de son frère Jean-Baptiste. Il n’accomplit cependant pas le parcours de Vouet, en suivant le chemin tracé par la methodus manfrediana. Il y reste jusqu’en avril 1626, pour ensuite rejoindre Venise où il est marqué par Titien. Ces années vénitiennes sont déterminantes. On le surnomma le « Titien Français » en rapprochant ses coloris de ceux des peintres de la Sérénissime. En 1628, il est à Turin, où il travaille pour le duc de Savoie. Il repasse par Lyon, où il peint le portrait d’Horace Le Blanc, son maître, qui avait été appelé à travailler au château de Grosbois, de 1622 à 1623. De retour à Paris en 1629, il ne pouvait refuser cette première commande de la décoration d’une galerie, au moment même où Simon Vouet entreprend lui-même de grands cycles décoratifs (galeries du château de Chessy, puis de Chilly). 

Blanchard fournit également, en 1632, plusieurs tableaux pour la chapelle Le Barbier aux Augustins Réformés, dite église des Petits-Augustins. Il convient de citer aussi le portrait de Louis Le Barbier par Blanchard, perdu hélas, mais gravé par Michel Lasne. Membre de l’Académie de Saint-Luc, Blanchard peint en 1634 le May de Notre-Dame Descente du Saint-Esprit sur les Apôtres (in situ) et devient peintre du roi en 1636. Alors qu’il est au sommet de sa carrière, il meurt dans la vigueur de l’âge le 10 novembre 1638.

Bibliographie

  • Brice Germain,Description nouvelle de ce qu’il y a de plus remarquable dans la ville de Paris, Paris, 1687.
  • Félibien André,Entretiens sur les vies et les ouvrages des plus excellents peintres anciens et modernes, vol. I, 4e sec., Paris, 1685, p. 180.
  • Perrault Charles, « Jacques Blanchard », dans Les Hommes Illustres qui ont paru en France pendant ce siècle, avec leur portrait au naturel, Paris, t. II, 1700.
  • Dezallier d’Argenville Antoine-Joseph,Abrégé de la vie des plus fameux peintres, Paris, tome IV, 1745.
  • Sterling Charles, « Jean et Jacques Blanchard », Art de France, Paris, t. I, 1961, p. X-X.
  • Rosenberg Pierre, « Quelques nouveaux Blanchard », dans Etudes d’art français offertes à Charles Sterling, Paris, P.U.F., 1975, p. 217-225 et fig. 130-145.
  • Lacaille Frédéric, « L'hôtel Le Barbier, puis Perrault, puis de La Briffe 3,5 quai Voltaire », dans Le quai Voltaire, Paris, Délégation à l'action artistique de la Ville de Paris, 1990, p. 64-73.
  • Thuillier Jacques, Jacques Blanchard 1600-1638, Rennes, 1998, p. 76-118.

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